HISTORIQUE DU CHÂTEAU
Résidence d'été des évêques de Quimper
Dès le XIIe siècle, les évêques de Cornouaille aimaient résider dans leur maison de campagne des rives de l'Odet autour de laquelle existait un village comprenant église, cimetière, maisons, moulin, four... En un mot : une paroisse mentionnée dans des parchemins de cette époque.
L'évêque Guillaume (1193-1218) y mourut. Alain Rivelen, dit Morel, (1290-1320) y gérait l'administration diocésaine le 25 novembre 1300. Il ne s'agissait donc pas d'une simple résidence d'été. Car la ville de Quimper est prise d'assaut par Charles de Blois et livrée au pillage en 1344, pour ne capituler que 20 ans plus tard devant Jean IV.
En ce qui concerne Lanniron, nous trouvons des contrats d'achats de terres par l'évêque Gatien de Monceaux (1408-1416) qui, en 1412, 1413 et 1415, attestent de la volonté de l'évêque d'agrandir son terroir de Lanniron.
Gisant de Mgr Gatien de Monceaux dans la cathédrale de Quimper

Monseigneur Bertrand de Rosmadec (1416-1444) bâtit à Lanniron un manoir. Celui-ci consiste en un bâtiment carré flanqué de quatre tourelles.
Représentation du manoir du XVe siècle

Notons que le nom de Bertrand de Rosmadec reste attaché à de nombreux monuments historiques de Quimper et de sa région. Les évêques durant la fin du XVe et le début du XVIe siècle agrandirent leur domaine par l'acquisition d'autres terres tandis que, peu à peu, le village et la paroisse disparaissent.
Mgr Bertrand de Rosmadec représenté sur un vitrail de la cathédrale de Quimper

Lanniron devient la résidence principale des évêques et voit naître ses fameux jardins au XVIIème siècle
Après les guerres de la ligue, dans la seconde moitié du XVIe siècle, la ville de Quimper, ligueuse comme la plus grande partie de la Bretagne, ne se soumet au Maréchal d'Aumont qu'en 1594. Monseigneur Charles du Liscoët (1582-1614) quitte sa résidence épiscopale de Quimper dévastée par un incendie. Il fait de Lanniron la demeure ordinaire de l'évêque de Cornouaille et non plus seulement sa résidence d'été.
Monseigneur du Louët, évêque de 1640 à 1668, semble porter un grand intérêt à sa résidence de Lanniron et l'agrémente par l'achat de terres pour de petits jardins.
Mgr René du Louët sur un vitrail de la cathédrale de Quimper

Quant à Monseigneur de Coëtlogon (1668-1706), nous lui devons les fameux jardins de Lanniron. Nous allons y revenir plus en détail.
Portrait de Mgr François de Coëtlogon

Puis se succèdent Monseigneur de Ploeuc (1707-1739), Monseigneur de Farcy de Cuillé (1740-1772).
Portrait de Mgr Annibal de Farcy de Cuillé

C’est à ce dernier que l’on doit la construction de l’aile occidentale du château telle qu’on peut le voir sur un dessin du XVIIIème siècle.
Château de Lanniron selon un dessin du XVIIIème siècle

Quant à Monseigneur de Grossoles de Flammarens, en 1772, il supporte très mal la vie épiscopale en Cornouaille...Pas plus de trois mois...
Monseigneur Conen de Saint-Luc (1772-1790) fut le dernier évêque de Quimper résidant à Lanniron. Il meurt en 1790 au début de la révolution française et à l'époque de la confiscation des biens du clergé.
Portrait de Mgr Toussaint Conen de Saint Luc

Reconstruction du château
Bien national, Lanniron est revendu successivement à différents marchands de biens avant d'être racheté par Monsieur Emmanuel Calixte Harrington le 15 juin 1822. Ce gentilhomme anglais, de mère Française, vivait en France.
Il entreprit la reconstruction du château en 1825 et nous lui devons son état actuel. Ainsi le manoir du XVe disparaît, seuls subsistent encore quelques murs toujours visibles aujourd'hui... Monsieur Harrington sut avec talent transformer le château de Lanniron et lui donner la belle harmonie qu'il connaît aujourd'hui.
Façade du château en 1849

Projet d'un jardin à l'anglaise
Aux jardins réguliers, Harrington, en sa qualité d'Anglais, a eu le projet de substituer un tracé de jardins romantiques "à l'anglaise", ce qui aurait été fort regrettable.
Cadastre de Lanniron, propriété de M. Harrington

Acquisition de Lanniron par Charles de Kerret
Le 22 juillet 1833, Monsieur et Madame Charles de Kerret de Quillien rachètent Lanniron. Leur fille Hermine épouse en 1835 Georges Blanchet de la Sablière dont les descendants sont les actuels propriétaires.
Portrait de Charles de Kerret

Historique des jardins de Lanniron
Monseigneur de Coëtlogon, évêque de Quimper de 1668 à 1706 fut le premier à songer à faire construire des jardins dans le goût de l’époque. Avant lui, Monseigneur du Louet avait acheté des terres pour en faire des petits jardins mais la partie du domaine réservée à l’usage privé des évêques était très réduite.
Monseigneur de Coetlogon était évêque de Quimper mais ses grandes qualités d’orateur lui ouvrirent fréquemment les portes de la cour de Versailles. L’évêque y découvre le « grand goût ». C’est l’époque de Louis XIV, le Roi Soleil, l’époque du château de Versailles, des jardins de Le Nôtre et des grandes fêtes dans les jardins à la française. Revenu à Quimper l’évêque décide donc de faire construire chez lui, à Lanniron, des jardins dans le goût du siècle. On ne sait pas qui a dessiné ces jardins. Certains annoncent pompeusement les noms de Le Nôtre ou de Mollet mais rien ne vient prouver ces hypothèses.
Les jardins à la française, très à la mode au XVIIème siècle, sont un mélange des jardins baroques italiens et des jardins classiques français. Des jardins baroques italiens, ils gardent la composition en terrasses s’organisant autour du palais qui en est le centre et le point de jonction de toutes les lignes de constructions du jardin. Des jardins classiques français ils gardent : le cloisonnement des fleurs par des allées de buis et l’organisation régulière et géométrique, comme à Versailles, Villandry ou Vaux le Vicomte.

Historique des jardins
Monseigneur du Louët est le premier à voir en Lanniron une résidence d’été pleine d’agréments. Ainsi il agrandit les terres de Lanniron en achetant des petits jardins proches du château.
Monseigneur de Coëtlogon était évêque de Quimper, comte de Cornouaille et seigneur de Lanniron. François de Coëtlogon, noble prélat aimable et doux était un prédicateur habile. Libéral et magnifique, il hantait volontiers la cour et les beaux esprits parisiens.
C’est dit-on en l’écoutant raconter l’aventure fâcheuse de son carrosse enlisé jusqu’au moyeu dans une fondrière, aux abords de sa ville épiscopale que La Fontaine localisa sa fable du charretier embourbé.
C’était à la campagne,
Près d’un certain canton de la Basse Bretagne
Appelé Quimper-Corentin.
On sait assez que le destin
Adresse là les gens quand il veut qu’on enrage
Dieu nous préserve du voyage !
Rappelons que Quimper était toujours une ville d’exil bien loin de la capitale.

Monseigneur de Coëtlogon, grand amateur de jardins et aimant les fleurs, fut le premier à songer à se procurer un jardin tracé suivant les meilleurs règles du temps, un vaste jardin où tout fût prévu pour la commodité de la méditation solitaire et pour l’agrément de la conversation mondaine. Mais aussi pour le plaisir des yeux...
Il acheta entre 1672 et 1686 des terres, dont le village proche de Kerbaby.
Dans un mémoire de Monseigneur l’évêque de Cuillé établi lors de transactions avec les héritiers des deux précédents évêques, nous lisons:
« A l’égard des augmentations et améliorations qu’on prétend que Monseigneur de Coëtlogon a fait à Lanniron, elles ne consistent que dans la démolition de plusieurs maisons et de plusieurs murs qu’il a détruit pour y faire des champs et des fossés, elles consistent encore dans l’étendue qu’il a donné au jardin et quelques plantations qu’il a fait : ce qui à vrai dire ne peut être considéré comme une augmentation mais comme des embellissements qu’il a voulu faire… »
Ces remarques sous-estiment l’importance de l’œuvre accomplie sans doute pour argumenter face aux héritiers.
Un grand portrait hélas disparu, existait dans la salle synodale de l’évêché incendié en 1939.
Il représentait Monseigneur de Coëtlogon devant ses jardins et son palais de Lanniron, peint par l ‘Hermitais vers 1750 à la demande de Monseigneur de Farcy. Le peintre était Vannetais.
Photographie du portrait disparu de Mgr de Coëtlogon

Détails des jardins en arrière-plan du portrait de Mgr de Coëtlogon

Louis Le Guennec en reproduisit une gravure dans le bulletin de la société archéologique du Finistère en 1921.

Lanniron et André Le Nôtre...
Nous ne saurions assurer, comme le fait Cambry en 1795 que les dessins du jardin étaient du fameux Le Nôtre.
Le poète enthousiaste n’aurait sans doute pas manqué de mentionner une rencontre entre Monseigneur de Coëtlogon et le jardinier du Roi. Quand bien même son tracé semble fidèle à l’esprit de l’artiste...
1707-1790
Les trois derniers évêques de l’ancien Régime, Monseigneur de Ploeuc (1707-1739), Monseigneur de Farcy de Cuillé ( 1740 - 1772), Monseigneur Conen de Saint-Luc ( 1773 - 1790 ) ont, semble-t-il assez bien maintenu l’état des jardins.
Dans les procès-verbaux (en 1739 et 1773) de prisées des réparations à faire au palais épiscopal de Quimper et à celui de Lanniron, faisant suite à la mort de Monseigneur de Ploeuc ainsi qu’à celle de Monseigneur de Farcy, nous trouvons d’autres nombreux détails sur les jardins.
L’ORANGERIE
L’orangerie actuelle date de la fin du XVIIIème siècle comme nous le confirme le mauvais état des solives.
Il existait une petite orangerie près des cuisines dans le palais épiscopal ainsi qu’un appartement pour le jardinier.
Sous Monseigneur de Farcy il y avait un jardinier en chef et, à la mort de ce prélat en 1772, les plantes les plus rares, orangers, citronniers, cédrats et bergamotes sont estimés à plus de 10000 livres.
Les arbres orangers donnent lieu à un acte spécial lors du règlement de la succession de Monseigneur de Ploeuc.
LES BASSINS
Le Neptune à l’occident, au-delà des murs du jardin et près de la rivière, se remplissait à la marée montante, l’eau y étant maintenue par une bonde.
Au centre de ce bassin, une statue de Neptune sur un piédestal. En 1740, elle était dans un tel état qu’il était nécessaire « d’en faire faire une neuve en pierre de taille »
Toujours à l’occident » dans un jardin de la principale maison où sont les orangers », le bassin de l’orangerie avait en son centre, sur une pyramide de pierre de taille, quatre crapauds servant de jet d’eau
Ce bassin » à double miroir » alimentait en eau les deux autres bassins de la deuxième et de la troisième terrasse lesquels portent aussi en leur centre une pyramide de pierre portant des jets d’eau. Avec symétrie, à l’orient sur les terrasses nous retrouvons les
mêmes bassins.
Quant au septième bassin, celui de la « demi-lune », il était toujours en bon état et possédait lui aussi, en son centre, sur une pyramide, un grand jet d’eau partant d’un dauphin jusqu’à sa disparition en 1790.
LES STATUES
Outre la statue de Neptune dont nous avons parlé, « deux statues de tuff situées de chaque côté de l’escalier central de la première terrasse, sont rompues qu’il faut mettre deux neuves en leur place, représentant un paysan et une paysanne »
Au-dessus, de chaque côté de la porte entre le jardin et le mail, deux lions en bois » Cela à l’orient près de la mer.
Notons, à la lecture des différents procès-verbaux que les jardins, dans leur ensemble, étaient assez correctement entretenus.
Toutes ces réparations constatées sont dues à l’usure du temps.
Lorsque l’on manifeste de l’intérêt pour des jardins classiques ou « à la Française » il ne s’agit pas d’une démarche » écologique »...
Ce style a une définition intellectuelle, ces jardins répondent d’un haut niveau de l’art créatif.
Il ne son pas nés des fantasmes d’un grand Seigneur névrosé... nous dit BENOIST- MECHIN.
Demeurons modeste dans notre contemplation d’un art porté si haut qu’il n’a jamais pu être égalé.
A Lanniron nous ne sommes pas à VERSAILLES bien sûr mais l’esprit est ici le même, hâtons-nous de l’admirer. il a fait un long voyage ...
Au XVIII s. le manoir est décrit comme étant formé de deux édifices de style différent:
A l’est le manoir du XVe s. et à l’ouest un pavillon élégant.
Le haut perron de la maison centrale est également décrit par Nicolas de Bonnecamp comme existant à la fin du XVIIe s. «...aux côtés d’un perron, une double descente.. »
Ceci est important car nous pouvons penser que Monseigneur de Coëtlogon a commencé les transformations du palais épiscopal. Monseigneur de FARCY qui « aimait tant son cher LANNIRON... » aurait poursuivi son oeuvre d’agrandissement et cela vers 1750.
En 1773 il fallait payer des réparations importantes à LANNIRON, Monseigneur CONEN de SAINT-LUC, lui, ne réside pas à LANNIRON, ni à l’évêché. Il loue un appartement en ville (Ce qui lui coûte fort cher dit-il...)
Les jardins et l’eau
Sept bassins et un canal subvenaient aux besoins en eau de ces jardins.
De cette avancée en forme de redoute, on voit déjà l'importance de l'eau à Lanniron avec l'Odet qui coule aux pieds des terrasses, la baie de Kerogan...
L'eau était indispensable à Lanniron pour faire pousser les nombreuses fleurs et tous les arbres, pour arroser les légumes...
Elle était très importante aussi en ce qui concerne le décor car tout jardin à la française se doit d'avoir des bassins et fontaines, symbole de l'eau maîtrisée (comme le reste de la nature) mais aussi symbole du mouvement dans ce jardin très figé.
Il y avait 7 bassins à Lanniron mais 6 ont été détruits lors de la révolution française :
- 4 sur la 2ème et 3ème terrasse : on connaît leur emplacement grâce aux sources (cf l'historique des jardins de Lanniron) et à des fouilles archéologiques. Ces bassins étaient ornés de pyramides et de jets d'eau.
- 1 grand bassin qui s'inscrivait parfaitement dans cette avancée en fer à cheval et qui avait un diamètre de 10 mètres. En son centre, il y avait un dauphin d'où partait un jet d'eau : " source d'eau douce au milieu de la mer " d'après le poète Bonnecamps.
- Le bassin de Neptune s'étendait en dehors des murs des jardins.
- Enfin, le seul subsistant avant les travaux de restauration: le bassin situé devant l'orangerie.
Tout ces bassins, détruits pendant la révolution française, s'intègrent au projet de restauration.
Le bassin de Neptune
Ce bassin a été détruit pendant la révolution et les contours se sont effondrés. Des restes très minimes du mur étaient encore visibles avant sa restauration.
Au centre de ce bassin, il y avait un socle avec une statue du Dieu de la mer Neptune juché sur un dauphin et de cette statue partait un jet d'eau.
Là encore, la symbolique a joué dans le choix de cette statue : on a choisi Neptune, dieu de la mer, pour ce bassin car celui ci était alimenté par l'Odet lui même soumis à l'influence de la mer à marée haute. A marée haute, la mer envahissait l'Odet puis, par un canal, cette eau salée pénétrait dans le bassin où elle était retenue par une bonde jusqu'à la prochaine marée. Aujourd'hui il se remplit à nouveau lors des marées lorsqu’on ouvre le clapet.
Le bois qui entoure ce bassin est constitué majoritairement de Chênes verts. On nomme ces chênes " verts " car ce sont des arbres à feuilles persistantes qui donc sont verts toute l'année. Leurs feuilles sont différentes des chênes communs et en début de saison, on voit la différence de couleurs entre les pousses de l'année (vert tendre) et les feuilles de l'année précédente (vert foncé).
On trouve généralement ces arbres dans le sud de la France, en Provence. La Bretagne constitue la limite septentrionale de cette espèce et leur reproduction spontanée à Lanniron (à partir de premiers spécimens plantés) renforce l'intérêt de ce phénomène.
Parmi les plus beaux spécimens du parc, on trouve un chêne vert multi-centenaire qui a poussé dans le mur.
Le bassin de l'orangerie
Ce bassin avait en son centre sur une pyramide de pierre de taille, quatre crapauds servant de jet d'eau. Ce bassin à double miroir alimentait en eau les deux autres bassins de la deuxième et troisième terrasses portant en leur centre une pyramide de pierre portant des jets d'eau.
Le Grand Canal
Ce canal construit au 17ème siècle, comme les autres fontaines, avait une valeur décorative et fonctionnelle.
Décoratif : grande voûte de verdure de 270 mètres de long (12 mètres de large de ce côté et 4m à l'autre bout : perspective accélérée qui le fait paraître encore plus long.)
Fonctionnel : Alimenté par différentes rivières, il alimentait à son tour les autres bassins par des tuyaux de plomb et le principe de la gravité.
En 1955, une commune voisine coupa la rivière principale qui alimentait le canal et celui-ci devint sec . Envahi par les ronces, sec, et détérioré par la tempête de 1987, il a été restauré il y a quelques années et est aujourd'hui alimenté par forage.
On peut noter la très belle végétation tout autour de ce canal. (Gunera...)
Un patrimoine classé
Les Jardins " à la Française " de Lanniron, descendant sur l'Odet, ainsi que le Parc- Arboretum du XIXème siècle ont été classés à l'Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques en décembre 1992. De plus, depuis 1986, le château et l'Orangerie figuraient déjà sur cet Inventaire.
Les différents travaux de restauration effectués depuis 1989 ont valu au domaine de Lanniron différents prix :
- le prix Weinberg-la Massonière décerné par " l'Association des Vieilles Maisons françaises ".
- le 1er prix de l'investissement et de l'innovation touristique en Finistère en 1994
Les financements
Un Domaine présentant un tel intérêt historique, esthétique et patrimonial se devait d'être conservé et restauré notamment suite aux dommages causés par le temps mais aussi par la tempête de 1987.
C'est donc dans un souci de préservation, de conservation et de restauration du Domaine que fut créé, en 1969, le camping. En outre, les actuels propriétaires ont su diversifier leurs activités (restaurant, visites, locations de salles, locations de logements) afin de pouvoir collecter les fonds nécessaire à l'autofinancement et donc à la conservation du patrimoine.
Cependant, des projets d'une telle envergure demandent des fonds de plus en plus conséquents. Compte tenu de l'intérêt patrimonial et historique du site, le Domaine de Lanniron a bénéficié du soutien financier de :
- la DRAC ( Direction régionale des affaires culturelles )
- le Conseil Général
- le Conseil Régional
- la Ville de Quimper.
Les travaux de restauration
Depuis 1969, le principal souci a été la sauvegarde de l'ensemble du domaine, notamment grâce à la création d'une activité commerciale de castel, un camping****, qui permet d'assurer les travaux indispensables : remise à neuf des toitures délabrées des bâtiments en 1968, restauration des jardins, etc.
La destruction du domaine par l'ouragan de 1987
Le 15 octobre 1987, un terrible ouragan, avec des vents d'une ampleur exceptionnelle ravagent plantations, cultures, bâtiments, routes et toitures Bretonnes.
Lanniron, comme la plupart des parcs bretons, n'a pas été épargné. C'est un désastre ! Le bilan matériel et financier est très lourd :
- Une partie des grands arbres du domaine ont disparu ( déracinés ou mutilés ).
- La grande allée de 300m menant au château, plantée de Hêtres, n'existe plus. De même pour l'allée "des chevaux" plantée de chênes rouges d'Amérique.
- Des arbres, tel qu'un grand Cèdre bleu de l'Atlas et d'autres arbres isolés, qui sont importants du point de vue botanique, sont également tombé.
- En une nuit 1 hectare de parcelle boisée est entièrement rasé.
Miraculeusement épargné par la chute des arbres, le château est intact au matin du 17 octobre.
La remise en état des allées du parc
Après un long travail de déblaiement et de nettoyage, il a fallu reconstituer ces allées par tout un travail de reboisement. L'allée principale, anciennement constituée de Hêtres, a été replantée de Tilleuls. L'allée des chevaux, quant à elle, a été replantée de jeunes Hêtres verts.
Les pertes constatées, il faut s'organiser pour effacer et réparer au mieux les dégâts, mais la tâche paraît insurmontable. Pour faire face à ce traumatisme et mener à bien ce travail de longue haleine, les propriétaires de parcs et jardins bretons se sont alliés et ont crée " l'Association des Parcs et Jardins Bretons " (APJB). Association à laquelle appartient le Domaine de Lanniron. L'APJB apporte ses conseils et centralise les démarches et les demandes de crédit dans le cadre d'actions thématiques telles que la reconstitution des alignements d'arbres des allées.
Pour Lanniron cette tempête va ainsi être le point de départ d'un vaste programme de restauration. Mais avant tout travail de restauration et d'embellissement, il faut nettoyer et évacuer les troncs, branchages et autres débris laissés par l'ouragan. Pendant plusieurs semaines toute une équipe aidée de machines va travailler pour rendre les allées et les abords du château accessibles. Viendra ensuite tout le long travail de désouchage, nivellement et finalement reboisement.
Les premiers travaux de restauration
Les propriétaires du lieu ont mis en place un projet de restauration globale destiné à rétablir la splendeur d'autrefois.
Une telle restauration implique plusieurs impératifs :
- Le respect de la plus grande fidélité historique possible, notamment grâce aux documents anciens.
- La remise en valeur du thème de l'eau (Bassin de Neptune, Canal, Jets d'eau ...)
- Maintenir un coût d'entretien modéré en privilégiant les travaux d'infrastructure.
- L'obtention d'un résultat rapidement spectaculaire en rétablissant en priorité les jeux d'eau et les tracés anciens (allées et pelouses) sur les terrasses. Avec en plus la lumière.
- Plantation progressive d'espèces choisies pour leur beauté, leur intérêt botanique et leur adaptation au climat et au sol.
Une restauration globale et rapide d'un tel domaine est financièrement et matériellement impossible. Il faut donc agir graduellement, des restaurations les plus vitales aux plus accessoires et décoratives.
Les travaux déjà réalisés depuis 1989 ont valu au domaine de Lanniron le prix Weinberg-la Massonière décerné par "l'Association des Vieilles Maisons françaises".
- Réparation complète des dégâts causés par la tempête de 1987.
- Restauration de la grande Orangerie du XVIIème siècle.
- Réfection complète du jardin devant l'Orangerie.
- Dégagement complet du Canal et du bassin de Neptune.
- Début de restauration des murs des terrasses et des murs de rive.
- Début de restauration de l'hydraulique ( Réfection et alimentation en eau du grand canal).
- Restauration du tracé des allées.
- Restauration des dépendances (maisons du canal, du pêcheur, ferme...)
L'étude préalable à la restauration des jardins
En 1990 : une étude historique sur le château de Lanniron et ses jardins est menée, c’est le préambule essentiel à toute restauration. C'est là qu'a eu lieu la prise conscience de la qualité exceptionnelle de ces jardins.
En 1990, puis en 1991 : le premier acte potentiel permet de replanter les avenues de Lanniron, détruites en octobre 1987.
En 1994 : Monsieur Simonnet décide François de Massol à s’engager dans un processus de restauration. Des études successives sont dessinées et présentées à la Direction Régionale des Affaires Culturelles. C es études sont examinées par la Commission Jardin de Paris le 13 mars 1996. Le plan corrigé de 1997 est accepté. C'est le 1 er décembre 1998 que les travaux de restauration sont engagés.
Premier temps : 1 décembre 1998 au 30 novembre 1999
Ce sont essentiellement les murs de périmètre du jardin clos qui sont corrigés, consolidés ou remontés.
Pour les murs sur rivière, il faut travailler au rythme des marées. Ce n’est pas toujours simple.
Dès l’été 1999 les travaux commencent sur la zone dite du Neptune, cet autre jardin clos à l’ouest de la propriété.
Deuxième temps : 1 décembre 1999 au 30 juin 2000
Février 2000 : travaux de recherches archéologiques sur l’emplacement des anciens bassins par l’équipe de Monsieur Jean- Paul Le Bihan, archéologue.
Ces travaux essentiels ont amené la preuve concrète de l’existence des bassins. Nous découvrons ainsi le véritable périmètre du « bassin des dauphins »
Mars 2000 : curage du « bassin du Neptune ». 1000m3 de vase sont extraits pour retrouver la base des murs du bassin, sur 1m de hauteur, qui sont intactes. Nous retrouvons également la base du socle de la statue du Neptune, ce qui nous donne son exacte profondeur.
En grattant le sol un des compagnons de l’équipe ART découvre une rampe d’accès au bassin que nous ignorions. Cette découverte nous permet de connaître avec une assez grande exactitude la hauteur du bassin.
Troisième tranche 10/11/2001 – 15/10/2002
Janvier 2002 pour l’essentiel ce sont les travaux de restauration du bassin du Neptune et de la reconstruction d’une partie du mur nord.
Restauration des escaliers de l’axe central du jardin clos et de ceux qui sont à l’ouest.
Ce « bassin-à-marée » du Neptune est une œuvre originale dont on ne connait pas de réplique.
Quatrième tranche 2005
Restitution du bassin central du dauphin et des deux bassins ovales dits « des tritons » sur la troisième terrasse.
Restauration des escaliers qui sont à l’est du jardin clos et restauration du mur séparant la première terrasse de la deuxième.
Restitution des parterres de la troisième terrasse
A partir de 2018, le parti est pris de restaurer les parterres progressivement plutôt qu'en une seule fois.
Un jardinier qualifié et expérimenté est recruté.
Deux premiers carrés sont restitués en potager en 2018 sur la troisième terrasse.
Deux autres carrés sont ajoutés en 2019.
En 2020, le nombres de parterres sur la troisième terrasse est porté à six.
Le réseau d'irrigation en eau de cette terrasse est installé.
Les premiers arbres fruitiers en espalier sont plantés le long du mur entre les deuxième et troisième terrasses.
Travaux restants
Mais de nombreux travaux restent à faire
Sur les sept bassins qui ornaient les jardins du XVIIème, seul subsistait celui de l'Orangerie. Suite à la restauration du bassin de Neptune,ont été restitués trois des cinq bassins qui ornaient les terrasses et dont l'emplacement est connu grâce à des documents d'archives mais aussi grâce à des photos aériennes. Fontaines et jeux d'eau devraient aussi recréer l'ambiance qui régnait dans ces jardins il y a trois siècles. Il reste encore à reconstruire les deux bassins de la deuxième terrasse.
Enfin, une fois les grands travaux terminés, une politique de fleurissement ( fleurs, topiaires, création de carrés...) donnera la touche finale à ces projets visant à refaire de Lanniron " un paradis charmant ". Les jardins ont en effet perdu progressivement leur aspect du 17ème siècle depuis la révolution (de 1809 à 1822 environ, les terrasses étaient louées à des jardiniers qui y cultivaient fruits et légumes! Cela a eu au moins le mérite de conserver les terrasses!).
Pour mener à bien ce projet de restauration étalé sur plusieurs années et qui doit être le plus proche possible de la réalité historique, nous possédons des sources tels que le tableau de l'Hermitais ou encore les écrits de Bonnecamps, Waquet, Cambry.
Arboretum
En se dirigeant vers le canal, on traverse la première terrasse où l'on trouve de grands arbres très intéressants du point de vue botanique (Gingko Biloba, figuier, magnolia, araucaria, Cryptomère du Japon).
C'est un échantillonnage pour botanistes, écoliers ou simples amateurs de fleurs.
Mme de La Sablière, fille de M. de Kerret, passionnée comme son père, a rapporté de ses nombreux voyages des arbres rares tels que les arbres de Judée (ramenés de Constantinople). Son fils a ramené des Séquoias et Wellingtonia d'Alaska.
Là encore, l'importance du Finistère est à souligner dans le développement des arboretums car le climat océanique de la région (doux en hiver et humide en été) permet une bonne adaptation de ces arbres étrangers.
A côté d'espèces caractéristiques du Finistère :
- les Ericacées (rhododendrons, azalées)
- les Théacées (camélia reticulata (voir la photo), japonica...)
On trouve aussi des espèces plus rares dans nos régions :
- Liquidambar
- Erable du Japon (Acer palmatum)
- Hêtre de l' Antartique (Northofagus antartica)
- If d'Irlande (Taxus baccata)
- Palmier d'Himalaya (Trachycarpus martianus) (voir la photo)
- Palmier nain ( Chamaerops humilis)
- Houx cornu (Ilex cornuta)
- Gingko Biloba (arbres aux 40 écus)
- Araucaria imbricata (chili) ou " le desespoir du singe "(voir la photo)
- Palmier chinois (Trachycarpus fortunei)
- Magnolia Grandiflora
- If commun (Taxus)
- Cyprès chauve de Louisiane (Taxodium distichum)
- Cyprès de provence ( Cupressus sempervirens)
- Arbre de Judée (Cercis siliquastrum)
- Bambou noir ( Phyllostachys nigra)
- Sequoia sempervirens
- Pin noir d'Autriche
Ainsi que de beaux spécimens remarquables par leur ancienneté :
- Chênes verts (Quercus Ilex) multicentenaires, qui sont certainement un record dans
la région.( Ils sont vraisemblablement spontanés, ce qui est une donnée particulièrement
intéressante sur le plan scientifique. Ils constituent en effet une nouvelle limite
septentrionale et occidentale pour l'espèce.)
- Cryptomeria japonica
Explications botaniques de différents arbres :
A l'est de la première terrasse :
- Le Cryptomeria japonica elegans, appelé plus communément Cryptomère du Japon, est curieusement torturé et semble s'appuyer sur une Glycine commune. Ce conifère aux pousses naturellement tordues possède une étonnante écorce souple et fibreuse de couleur brun-rouge.
- Un Araucaria du Chili plus communément appelé le " désespoir du singe " à cause de ses feuilles extrêmement piquantes qui le rendent inaccessible à ces animaux.
- En se dirigeant plus à l'est, on remarque un massif de Bambou noir, et du Houx cornu dont les feuilles rectangulaires et piquantes diffèrent de celles du houx commun.
- Un peu plus loin, le long de ce qu'on appelait le " Petit Canal ", un très bel exemplaire de TAXODIUM DISTICHUM ou Cyprès chauve de Louisiane. Ce conifère à feuilles caduques est intéressant par ses " Pneumatophores ", sorte d'excroissances aériennes émises par les racines et qui permettent à ces dernières de respirer dans le sol saturé d'eau des mangroves de Louisiane d'où cet arbre est originaire.
- A sa gauche, un Sequoia sempervirens redwood. Ce conifère originaire des Amériques peut dans son pays d'origine atteindre 100 mètres de haut ! On le qualifie de " sempervirens " qui veut dire en latin : " toujours vert " car c'est un arbre à feuilles persistantes.
A l'Ouest, sur la première terrasse du château, à côté de l'Orangerie :
- un Ginkgo biloba dit " arbre aux 40 écus ", arbre des temps préhistoriques et qui nous vient de la province de Zhejiang en Chine. Cet arbre, prend en automne une couleur jaune d'or magnifique qui donne à ses feuilles l'apparence de pièces d'or.
- un Figuier, arbre originaire du Proche Orient.
- Devant l'Orangerie, le long de la première terrasse, les CERCIS SILIQUASTRUM ou " arbres de Judée " ont été rapportés de Constantinople par Mme de la Sablière au milieu du 19ème siècle.
- A l'ouest du château, le Liquidambar présente des feuilles ressemblant à celles de l'Erable.
Nous sommes dans une ambiance totalement différente de celle des jardins du 17ème.
Cette partie du parc a été constituée au début du 19ème siècle par la famille de M. de Kerret (aïeul des actuels propriétaires). Toute cette famille, passionnée de voyage et de botanique a participé à l'élaboration de cet arboretum années après années.
Les sources historiques
Le Château de Lanniron par Jacques Charpy in » Mémoires de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne » Tome XLVII – 1967
Jusqu’à la Révolution, le domaine de Lanniron appartint aux évêques de Cornouaille. Ils le possédaient selon toute vraisemblance depuis le temps des immigrations bretonnes.
Aux XIIe, XIIIe et XIVe siècles, les évêques se plaisaient à séjourner en leur maison des champs autour de laquelle s’était constitué un bourg avec église paroissiale, cimetière, chemins, rues, maisons et moulins. Ce bourg relevait du fief des Réguaires. De nombreux parchemins attestent pour cette époque l’existence d’une paroisse, dite paroisse de la rue aux Moulins près Quimper Corentin.
L’évêque Guillaume (1193-1218) y passa les derniers mois de sa vie, et sans doute y mourut. (Le cartulaire de l’église de Quimper publié par le chanoine Peyron mentionne un acte de 1218 passé « apud Lanhydron » ). Lanniron n’était pas seulement une résidence d’été. Alain Rivelen dit Morel (1290-1320) s’y trouvait encore le 25 novembre 1300, vaquant aux soins ordinaires de l’administration diocésaine.
Les acquisitions faites par l’évêque Gatien de Monceaux (1408-1416) et son successeur Bertrand de Rosmadec (1416-1444) permirent à ce dernier, dont le nom reste attaché à presque tous les monuments de Quimper, de rebâtir le manoir dans la première moitié du XVe siècle. C’était alors un bâtiment carré, flanqué au sud de deux échauguettes et au nord de deux tourelles d’angle.
En bons pères de famille, les seigneurs évêques, leurs successeurs, pratiquèrent une active politique d’achat des terres d’alentour et agrandirent l’enclos de leur domaine aux dépens du bourg qui périclita. La paroisse de Lanniron dont on conserve les registres de baptêmes depuis 1537 dut au XVIe siècle être desservie en la cathédrale Saint Corentin.
Après les guerres de la Ligue, les évêques de Cornouaille, Charles du Liscouët et Guillaume Le Prestre de Lezonnet, ne pouvant s’installer en ville dans leur palais épiscopal ruiné, firent du » palais rural » de Lanniron leur demeure ordinaire et durant tout le XVIIe siècle l’église de Locmaria servit de paroisse à Lanniron. Au XVIIIe siècle, Lanniron fut rattaché à la paroisse du Saint-Esprit ou de la rue Neuve qui s’étendait alors non seulement sur les fermes et manoirs des environs immédiats (Poulguinan, Créach-Guen, Prat-maria) mais aussi sur des territoires plus éloignés (Penar-Stang, Kergoatalez, Kervir et même Le Cleuziou à la sortie de Quimper vers Rosporden).
Saint Corentin et Bertrand de Rosmadec à genoux, sur un vitrail de la Cathédrale de Quimper Monseigneur du Louet (1640-1668) acheta de petits jardins enclavés dans Lanniron; son successeur monseigneur de Coëtlogon acquit en 1672 et 1686 le village de Kerbaby ; et, conformément aux édits et déclarations du roi qui permettaient aux ecclésiastiques de rentrer dans les biens aliénés de leur église et en vertu d’une sentence des Réguaires de Quimper du 16 mars 1678, il reprit la propriété de plusieurs terres; il démolit de nombreuses maisons pour faire des champs et des fossés. Il consacra plus de 30.000 frs à l’acquisition de terrains et à l’embellissement de Lanniron. Bien que par acte du 14 avril 1698 il fit don de ces accroissements à ses successeurs les évêques, ceux-ci devront soutenir en justice leurs droits contre les héritiers des prélats et notamment contre cet insupportable marquis de Ploeuc, neveu de monseigneur de Ploeuc, seigneur de Guilguiffin, marquis de Pont-Croix, dont j’ai évoqué ailleurs les démêlés comme commissaire inspecteur des haras de Bretagne.
René du louët, sur un vitrail de la Cathédrale de Quimper En 1668 François de Coëtlogon prend possession du siège épiscopal de Cornouaille. Fils d’un conseiller au Parlement de Bretagne, il appartenait à une famille originaire du diocèse de SaintBrieuc.
C’était un habile orateur, et aussi, comme son saint patron François de à la famille de Coëtlogon. « Les jardins de Lanniron décrits en vers français » ne comptent pas moins de 432 vers. Henri Waquet a dit de ce travail: » C’est une énumération. Cela est décrit comme par un notaire qui dressant un inventaire mettrait des rimes à toutes les douze syllabes de sa prose et, de-ci de-là, s’interromprait pour étourdir un client illustre du tapage de ses compliments emphatiques « .
François de Coëtlogon
» Que Lanniron me plait ! et que ses avenues
Pour leur rare beauté, méritent d’être vues:
C’est l’ouvrage achevé d’un illustre prélat
De qui ce lieu charmant emprunte son éclat:
Tout y brille par lui, puisque par sa présence,
Qui sert à ses jardins d’une double influence,
On voit naitre les fleurs, on voit murir les fruits,
Sa pourpre peint la rose, et sa candeur les lys. «
La description de M. de Bonnecamp est lente; elle pèche par une banalité lamentable, mais se rachète par son exactitude. Ainsi:
» Voyons avec plaisir la troisième terrasse.
Aux légumes ici les fleurs cèdent la place.
L’asperge et l’artichaut, le piquant celeri,
Les radis, le chou-fleur, l’épicé salsifis,
La royale laitue et la trop tendre alphange,
Par un hardi mépris aux fleurs donnent le change.
Leur grosseur, leur tendresse et le goût qu’elles ont,
Font connaitre aux friands la bonté de leur fond.
Ainsi dans ces jardins l’utile à l’agréable ,
Se joint, pour plaire aux yeux et servir à la table.
A l’utile et à l’agréable se joint aussi la grandeur car la mer est toute voisine, l’Odet au cours élargi et qui subit les effets de la marée:
» Approchons de ce mur qui défend à la mer
Aux douceurs de ces lieux de mêler son amer;
Quel plaisir de la voir dans ses hautes marées
Rouler à gros bouillons ses ondes azurées,
Courir après soi-même et, ses flots étant las,
Avec la même ardeur retourner sur ses pas! «
» C’est là que ce prélat solitaire médite
A corriger le vice et payer le mérite « .
Et M. de Bonnecamp de conclure:
» On s’écrira miracle! en voyant Lanniron. Pourquoi? C’est l’opéra d’un sage Coëtlogon « . » C’est ainsi qu’en Cornouaille, ajoute monsieur Waquet, sur le déclin du grand siècle, un ingénieux médecin poète occupait ses loisirs, entre un clystère et une saignée, à exalter, dans la langue des dieux, les talents, les tulipes et les melons d’un doux prélat, de belle race, amateur de jardins « .
Monseigneur de Coëtlogon avait également envisagé d’édifier une chapelle près du manoir, et en 1672 il fit établir par le P. Jésuite Turmel, adjoint de Martellange, un projet de chapelle. C’était un édifice à la mode du temps, à coupole centrale, avec abside et bras du transept en hémicycles, chaque bras ayant 10 mètres de long. La longueur du chœur et de la nef ne dépassait pas 25 mètres, la hauteur sous voûte 15 mètres. Une sacristie et une loge épiscopale complétaient ce projet dont les heureuses proportions composaient un charmant édifice, rappelant en petit ce qui fut réalisé pour la chapelle du collège des Jésuites de Quimper.
Bourde de la Rogerie et à sa suite Moisy, qui ont étudié ce plan conservé dans le recueil des plans jésuites de la bibliothèque municipale de Quimper (omis par Vallery-Radot), prétendaient que cette chapelle fut détruite sous la Révolution. Cela est une erreur. Elle ne fut jamais construite.
Les descriptions très précises que nous avons de Lanniron pour le XVIIIe siècle ne laissent aucun doute à cet égard. Ces descriptions sont notamment contenues dans les inventaires dressés au décès de monseigneur François Hyacinthe de Ploeuc (1707-1739) et de monseigneur Auguste de Farcy de Cuillé (1739-1771).
La salle synodale de l’ancien évêché conservait, avant l’incendie de 1939, une série de portraits d’évêques, peints vers 1750 par l’artiste vannetais l’Hermitais (auteur des toiles des trois retables de Spézet et de deux tableaux de Saint-Martin de Lamballe). Le portrait de François de Coëtlogon comportait en fond de tableau une peinture détaillée des jardins et du manoir de Lanniron; une gravure très inexacte en a été reproduite par Louis Le Guennec dans le bulletin de la Société Archéologique du Finistère de 1921. Monsieur de Massol en possède heureusement une reproduction photographique, de même que la copie d’un dessin du château à la fin du XVIII’ siècle.
Au début du XVIII’ siècle, le manoir de Lanniron comprenait un corps central de bâtiment (du XVe siècle) flanqué au nord de deux tours et au sud de deux échauguettes. Au rez-de-chaussée donnant sur la grande cour nord se trouvaient un petit vestibule et une chambre à droite en entrant, et en arrière une grande salle à manger; au-dessus un vestibule et une chambre et une grande chambre éclairée à l’est; des latrines étaient installées au rez-de-chaussée et à l’étage.
D’importants greniers surmontaient le bâtiment. Un deuxième corps de bâtiment accolé au sud était sans doute un peu plus récent que le bâtiment précédent: à l’étage du rez-de-chaussée la chambre de l’évêque éclairée au midi par deux fenêtres séparées par une porte donnant sur un double escalier accédant au jardin; au sud-ouest le cabinet de travail de l’évêque; au nord-ouest la chambre des domestiques; à l’est la chapelle; à l’étage au-dessus de la chambre de l’évêque, trois marches plus bas que la grande chambre du premier corps de bâtiment, un petit corridor donnant sur une grande chambre à deux fenêtres et à l’est sur un cabinet. Au sommet du logis la mansarde était aménagée en chambre du secrétariat.
Les deux tourelles du nord étaient occupées à l’est par le grand escalier, à l’ouest par un cabinet. De chaque côté de la tourelle de l’escalier à la hauteur du grenier, une galerie saillante à mâchicoulis rejoignait les tourelles nord-ouest et sud-est.
Au sous-sol, de plain pied avec le jardin (comme encore aujourd’hui), se trouvaient l’office, la grande cuisine, la cave à charbon et donnant sur les terrasses du midi une pièce appelée salon servant à l’occasion de petite orangerie. Le jardinier logeait sous le cabinet de travail de l’évêque. A la mort de monseigneur de Cuillé, l’inventaire de 1773 apporte quelques renseignements complémentaires et décrit de nouveaux bâtiments. Dans la chapelle, l’autel est décoré sur le devant de » broderies en relief de terre » ; son retable est » couvert de coquillages ». Le mauvais état de l’ensemble nécessite sa réfection et on envisage de le remplacer par un autel en bois décoré de pilastres. Dans la salle à manger, on demande la restauration des peintures à la fresque qui ornent les murs et représentent paysages et pilastres. Dans le prolongement occidental du manoir, monseigneur de Cuillé a construit entre 1760 et 1770 un corps de bâtiment dit » la maison neuve « . Au sous-sol (de plain-pied avec la cour) un corridor (au nord) donne sur
un office et deux caves (au midi). L’escalier de treize marches et deux paliers permet d’accéder au rez-de-chaussée qui, prolongeant la chambre de l’évêque, comprend une salle de compagnie et une chambre.
Le secrétariat est installé à cette époque dans une petite maison au nord-ouest de la cour nord avec étage et grenier à lucarne. La magnifique orangerie que l’on voit encore aujourd’hui remplaça sous l’épiscopat de monseigneur de Cuillé la petite bâtisse qui en tenait lieu du temps de monseigneur de Plœuc. On demande que les trente-cinq poutres construites en mauvaise qualité de pin soient refaites en chêne. Enfin le bâtiment compris entre le secrétariat et l’écurie (à l’ouest du château) abrite une glacière déjà existante sous l’épiscopat précédent, composée de madriers et oú un treillis de branchages garnis de foin et paille d’un mètre d
Le bassin de Neptune
Les plus belles parties du domaine de Lanniron sont sans contredit les jardins dont on nous décrit avec plaisir les terrasses et les bassins: sur la deuxième terrasse, deux bassins de 2,60 m. de diamètre, sur la troisième terrasse, deux bassins elliptiques de 2,25 m. à 3,25 m. d’axe, dans le fer à cheval un grand bassin, dans le jardin de l’orangerie encore un bassin à double miroir recevant l’eau par quatre grenouilles ou crapauds sous une petite pyramide en tuffeau; enfin à l’ouest du jardin la pièce d’eau appelée le Neptune au milieu de laquelle se trouve » une espèce de pied d’estale » en pierre de taille sur laquelle il y eut jadis une statue équestre aussi en pierre de taille représentant un dauphin portant un Neptune, dont les restes gisent dans la vase du bassin depuis plus de 30 ans. » Comme il n’y a pas d’ouvrier dans le pays en état de faire une statue pareille en pierre de taille, on demande d’y substituer une pyramide de près de cinq mètres de haut terminée par un globe surmonté d’une fleur de lys ».
Toutes ces eaux provenaient des sources de Saint-Laurent, Lesperbé, Kerustum et Kerbilien à 1200 toises de distance, soit près de 2 km 1/2. Par des rigoles en terre, elles étaient recueillies par un étang de 1800 m2 qui les canalisait vers un appentis le long de la chapelle. De là, par trois conduits de plomb, l’eau passait dans les bassins.
Sous l’épiscopat de monseigneur de Coëtlogon, de chaque côté de l’escalier de la première terrasse se trouvaient deux statues en stuff représentant un paysan et une paysanne et de chaque côté de la porte du château deux lions de bois.
Toussaint Conen de Saint-Luc
Dernier évêque avant la fin de la Monarchie, Monseigneur Conen de Saint-Luc, n’étant pas très en fonds pour reprendre le domaine auprès des neveux de son prédécesseur dû mettre une partie des jardins en locations auprès de maraîchers.
Ici, comme ailleurs, la Révolution apporta une perturbation dans le développement de Lanniron. Conséquence de la confiscation des biens du clergé, le 28 janvier 1791, en la salle basse du collège de Quimper, devant le directoire du district, les terres, maisons et dépendances de Lanniron » ci-devant dépendant de l’évêque de Quimper » furent mises à prix pour 23.140 livres.
Après une longue enchère de 18 feux, un certain monsieur Mallin en devint adjudicataire pour 33.000 livres, devant Le Déan, le donataire du Frugy.
Ce Mallin conserva le domaine avec les métairies de Lanniron et de Kerbaby jusqu’à l’an XIII. Le premier fructidor an XIII (20 juillet 1805), étant alors capitaine de frégate » en partance à cause de son service « , il vendait pour 50.000 F. l’ensemble à François Marie Toussaint Léon Tréverret, négociant, ancien trésorier payeur de l’armée, et fils d’un ancien sénéchal de Rennes. Le nouveau propriétaire ne profita guère de son acquisition, car ses affaires ayant mal tourné, il fut mis en faillite et contraint de vendre. Avec ses palues et ses terres à poterie, Lanniron fut revendu le 16 mai 1809 pour 47.000 F. seulement à Guillaume Marie Kerbriand-Postic, négociant à Morlaix, qui confia le soin de gérer son nouveau bien à Le Guillou Penanros, ancien avocat, ancien notaire, juge au tribunal et surtout homme d’affaires.
Tandis que les métairies étaient baillées à des fermiers, la maison et les jardins de Lanniron étaient loués à des jardiniers. En 1819, les jardins renfermaient en espalier 95 poiriers, 28 pêchers, 7 abricotiers, 10 cerisiers et 19 pruniers; en buissons 198 pruniers et poiriers, 28 cerisiers de plein vent, 49 pommiers et poiriers de plein vent, 310 sauvageons, 33 pieds de vigne (monseigneur de Coëtlogon en avait fait venir de la Ciotat), 184 groseilliers et castilliers, 24 jeunes pieds de châtaigniers, 29 petits noyers et 54 petits sapins, sans compter les arbres les plus précieux, ceux qui faisaient la réputation de Lanniron, 41 orangers et 9 citronniers.
La maison était fort mal entretenue; portes et fenêtres sans carreaux laissaient passer les courant d’air; les bois étaient dévastés; la location rapportait peu à son propriétaire qui avait des velléités de vendre s’il trouvait acquéreur, mais il hésitait toutefois à se défaire de » cette belle propriété peu commune à ses yeux « . Un acquéreur éventuel intriguait de divers côtés pour acheter Lanniron. Le Guillou Penanros conseillait même la vente à Kerbriand-Postic. » La personne qui vous avait écrit de Vitré pour acheter Lanniron, lui écrit-il, m’est venue en personne. Elle m’en a offert 50.000 F. Ce prix engage à bien réfléchir. Lanniron à peine vous donne 1.000 F. de revenu net. 50.000 F. donnent à 5 %, 2.500 F. La différence est de 1.500 F. de revenu. Un père de famille doit faire une sérieuse réflexion « .
Finalement l’affaire fut traitée le 15 juin 1822 pour 60.000 F., plus 750 F. d’épingles pour les demoiselles Kerbriand-Postic.
Quel était ce nouvel acquéreur de Lanniron ? C’était un gentilhomme anglais, Emmanuel Calixte Harrington. A dire vrai, seul le père d’Harrington était britannique. Sa mère était née Henriette Grignard de Champsavoy et en 1834 habitait Dinan. Son frère Armand, qui avait négocié l’achat de Lanniron, était directeur des contributions indirectes à Châteaulin et avait épousé Anne Louise de Carné-Marcein. Leur fille Mélanie épousa en 1839 Félix du Marhallah le châtelain du Perennou, qui après le décès de sa femme et de sa fille entrera au séminaire, sera recteur des Glénans, aumônier des mobiles de 1870, vicaire général du diocèse de Quimper et protonotaire apostolique. Emmanuel Harrington n’était donc pas tout à fait un étranger. C’était un homme de goût qui entreprit la reconstruction du château et lui donna son aspect actuel. D’après un article d’Aymar de Blois rédigé en 1844, pour le complément du dictionnaire d’Ogée (t. II, 1853), cette reconstruction daterait des environs de 1824. Donc peu après son achat, Harrington remodela le manoir, fit disparaître les tourelles et réduisit le bâtiment du XVe siècle, ajouta l’aile orientale de la façade et édifia la terrasse avec son harmonieuse colonnade et son double escalier et donna ainsi à l’ensemble d’élégantes proportions s’alliant à une simplicité distinguée et néo-classique. Harrington était un être curieux qu’on pourrait peut-être qualifier de joueur, noceur et buveur. Mort à Londres le 3 juin 1833 il laissait une veuve, Catherine Lowell, qui résidait toujours à Lanniron en faveur de laquelle il fit son testament, veuve qui était à la fois » épouse Wilfort et se disait épouse de feu Monsieur Harrington « .
Ayant revendu Lanniron trois mois avant sa mort, Harrington avait transféré ses meubles au manoir de Kernisy en Penhars et c’est là que fut dressé l’inventaire de ses biens: beau mobilier en acajou, plusieurs tables à jeu, nombreuses glaces et pendules de valeur, riche argenterie, vaisselle importante (38 plats et 28 douzaines d’assiettes, la plupart en porcelaine bleue, plusieurs théières), linge de maison damassé (53 draps, 46 nappes et 126 serviettes), bibliothèque aux nombreux rayons chargés de livres d’histoire et de géographie, d’ouvrages relatifs à l’Angleterre, d’œuvres de littérature anglaise et française, de quelques livres de prières, de dictionnaires et aussi de quelques manuels de gastronomie; la cave ne comprenait pas moins de 1.267 bouteilles de vins et d’alcool, du Saint-Emilion, du Médoc, du Roussillon, du Porto, du Graves, du vin de Grèce et d’Italie, du Cognac et de l’Armagnac, du Frontignan et du Bordeaux.
Le 21 mars 1833, Harrington cédait pour 62.500 F. déclarés le domaine de Lanniron qui s’étendait alors sur 71 ha à MM. Hyppolite Sire et Constant Chauveau Sire, banquiers à Boulogne qui remplaçaient par décision de justice l’acquéreur envisagé, un gentilhomme anglais, rentier à Calais, William Pole Tilmey Long Wellesley. Il ne fait pas de doute que le prix réellement payé fut plus élevé !
Charles de Kerret
Le 22 juillet 1833, les banquiers revendaient pour 92.000 F. leur bien à M. et Mme Charles de Kerret de
Quillien, de Quimper, dont la fille Hermine née à Lanniron en 1835 épousa Georges Blanchet de la Sablière; leurs arrière-petits-enfants sont aujourd’hui les heureux propriétaires de ce beau château. François et Marie de Massol, les actuels propriétaires du Domaine, ont entrepris depuis 1990 de très importants travaux de restructuration et de rénovation du Domaine : création du golf, de l’espace aquatique, du restaurant, rénovation des bâtiments et grand chantier de remise en état des jardins historiques.
L’aventure continue de nos jours…
Le Poème de Bonnecamps
Lanniron décrit en vers françois
Que Lanniron me plait et que ses avenues
Pour leur rare beauté méritent d’être vues :
C’est l’ouvrage achevé d’un illustre prélat,
De qui ce lieu charmant, emprunte son éclat ;
Tout y brille par lui. Puisque par sa présence
Qui sert à ses jardins d’ une douce influence,
On voit naître les fleurs, on voit mûrir les fruits :
Sa pourpre peint la rose et sa candeur les lis.
Astre plein de brillance, auteur des belles choses,
Second Père des lis, des œillets, et des roses :
Qui leur donnez l’éclat dont nos yeux sont charmez,
Qui leur donnez l’odeur dont ils sont parfumez ;
Eclairez d’un rayon de vos belles lumières,
Ce beau lieu, le séjour des grâces printanières,
Afin qu’à la faveur de vos vives clartés,
J’ en puisse remarquer les naïves beautés.
Oui, sage et grand prélat, qui les avez conçues
Incomparable esprit, dont elles sont issues,
Inspirés en mon âme un peu de cette ardeur
Qui fait avec éclat, briller votre Grandeur.
Afin qu’un feu si beau réchauffant mon idée,
Je chante les beautés dont elle est possédée,
Et que d’un style aisé, je puisse dignement,
Décrire Lanniron, ce Paradis charmant.
Que j’entre avec plaisir dans cette grande allée,
Dont la terre au niveau par tout est égalée :
J’ai crainte de marcher dessus son vert tapis
Que ne tondit jamais la dent de la brebis.
Les innocentes fleurs qu’enfante la nature,
Emaillent en tout temps son épaisse verdure :
Et plusieurs rangs d’ormeaux nouvellement plantés,
D’une égale distance en bordent les côtés.
Qu’au bout de cette large et profonde avenue,
S’offre agréablement ce Palais à la vue :
Mais avant que d’entrer dans ce charmant Château,
Où rien n’est de plus propre, où rien n’est de plus beau ;
Une grande avant-cour, présente son ballustre,
Dont les hautes couleurs rehaussent fort le lustre,
Sur les ailes on voit deux propres bâtiments,
Qui font pour son usage, et pour les ornements.
A celle-ci succède une moins spacieuse,
Mais qui paraît autant belle, et délicieuse :
C’est de là que l’on entre en cet aimable lieu,
Où toutes les beautés ne parlent que de Dieu ;
Les dedans en sont Saints ; et ce que l’œil contemple,
Le fait bien moins paraître une maison qu’un temple.
Il ne se pourrait pas aussi faire autrement,
Puisqu’un dévot Prélat, en fait tout l’ornement,
Et que la piété de son âme sacrée,
Par des objets divins, est par tout consacrée.
Avançons à loisir, et passons lentement
A travers les beautés du bas appartement.
Venons a cette porte, où l’escalier présente
Aux côtés d’un perron, une double descente :
Arrêtons un moment au haut de ce degré,
Pour promener par tout notre vue à son gré.
Que d’objets à la fois de diverse nature,
Etalent à nos yeux leur aimable figure :
L’air, la terre, et la mer disputent à l’envie,
L’honneur de plaire mieux à notre esprit ravi.
Le reflus en passant près de ces murs qu’il lave,
Chargé pompeusement des dépouilles du Grave,
Se vante que l’Automne, et ses riches présents,
Efface les appâts du stérile Printemps ;
Et que de rendre à bord une pesante barque
Qui gémît sous Bacchus, en est la belle marque.
Ce jardin émaillé des plus vives couleurs,
Dont l’astre des beaux jours, puisse peindre les fleurs,
Exposant à nos yeux ses brillantes richesses,
Dont la terre lui fait d’éternelles largesses ;
Nous dit par ses attraits, dont nous sommes surpris,
Que sur l’air, et sur l’onde il remporte le prix.
Et l’air rempli d’oiseaux d’espèces différentes,
Dont nous voyons former des troupes voltigeantes,
Confondant les hérons, avec les rossignols,
Leurs plumages divers, leurs chants, leurs cris, leurs vols,
Semble nous demander toute notre louange.
Enfin tant de beautés viennent frapper nos sens,
Que l’excès les étonne, et les tient en suspens,
Et nos yeux attirés par tant de choses rares,
Prodiguant leurs regards, en sont encore avares.
Après avoir ici goûter confusément,
Les plaisirs que nous donne un aspect si charmant,
Sortons de ce perron, Laissons la perspective
Et cherchons un détail, où notre œil se captive :
Cet amas de beautés ne nous fait qu’éblouir,
Et leur confusion empêche d’en jouir.
Descendons ces degrés. Que cette belle allée
De l’un et l’autre bout justement nivelé :
Finit heureusement à ce long canal d’eaux,
Où l’on voit promener le plus blanc des oiseaux ;
Le cygne mesurant cet élément liquide,
Tantôt d’un cours plus lent, et tantôt plus rapide,
Suivi de cent canards, qui marchent sur ses pas,
Quoi qu’ils glissent pourtant, et qu’ils n’y marchent pas
Semble imiter son maître en la cérémonie,
Il conserve en coulant certaine majesté,
Qui le fait regarder sa suite, avec fierté :
Puis tout d’un coup plongeant sa tête dessous l’onde ;
On croit qu’il est allé chercher un autre monde ;
Aussitôt revenant, il s’élance à mi-corps,
Comme si pour voler il faisait ses efforts,
Joyeux de voir le jour, et ses suivants fidèles,
Il déploie au Soleil la blancheur de ses ailes,
Dont il se bat les flancs par des coups redoublés,
Qui font rejaillir l’eau, dont les flots sont troublés.
Sa plaisante saillie aussitôt est suivie,
De cet oiseau flottant, qui tient de l’amphibie,
Le canard toujours prêt à faire milles sauts,
S’abîme, et puis revient du plus profond des eaux,
Et chacun voulant faire un tour de passe-passe,
Nage, marche, voltige, et s’enfuit de sa place :
Enfin ce sont des jeux, dont les acteurs volants
Reçoivent, en donnant, des plaisirs innocents.
Le brochet, et la carpe, en ce cristal liquide,
Suivent le naturel, et l’instinct qui les guide :
L’un d’eux donne la chasse aux timides poissons,
L’autre poursuit la mouche, et fuit les hameçons,
Fait le saut périlleux, et provoque les soles,
Qui ne sont pas loin à faire des cabrioles.
Mettons un peu d’appât au milieu de ces eaux,
Nous verrons des poissons s’en venir à monceaux,
Attaquer ce butin qui serpente sans cesse,
Epargné par leur crainte, ou par leur peu d’adresse,
Alors qu’un plus hardi, venant le bec ouvert,
Engloutira d’abord ce morceau qui le perd.
Ce sont là des plaisirs, que produit le silence
De cet Homme divin, qui vit dans l’innocence.
Le long de ce canal, des arbres toujours verts,
Semblent dans son cristal, plantés tous à l’envers.
Leur ombre, le Soleil, et les poissons ensemble,
Nagent confusément dans l’eau qui les assemble :
Et celui qui les voit, se croit être en danger,
Par son portrait flottant, qu’il voit aussi nager :
L’original pâtit pour sa trompeuse image,
Et son ombre se noie au bord de son rivage.
Que ces murs tapissés par ces arbres tendus,
Où les fruits demi-mûrs demeurent suspendus,
Se parent richement d’une belle verdure,
Où l’art du jardinier seconde la nature.
La pêche, l’abricot, la poire, et le brugnon,
Le damas, le muscat, le ferme perdrigon,
A l’envie font sentir à la main qui les touche,
Qu’ils peuvent plaire au goût de la plus fine bouche.
La pourpre qui se mêle à l’or parmi leur teint,
Fait voir que le Soleil, est celui qui les peint,
Dont un rayon brillant sans cesse les colore
D’un émail naturel, qui rougit, et qui dore.
Notre œil, après avoir joui de leur beauté,
Laisse au goût délicat, juger de leur bonté.
Faisons mille beaux pas dans cette longue allée
Après que la chaleur du jour s’en est allée,
Nous verrons vingt carrés en parterres réduits,
Par le plan différent des myrthes et des buis ;
Chacun d’eux fait valoir la douce rêverie,
De celui qui l’a fait avec symétrie ;
Sa chimère y paraît par les rangs figurés,
Qui suivant son dessein, distinguent les carrés.
Les Armes du Seigneur y sont si bien tracées,
Qu’elles ne peuvent pas jamais être effacées .
L’Hermine, Crosse et Mitre y perdent leur couleur,
Pour s’y parer toujours d’une belle verdeur.
C’est là que la tulipe en feuilles panachées
Des plus vives couleurs, dont elles sont tranchées,
Fait paraître à nos yeux un merveilleux éclat,
Où se mêle le blanc, le jaune, et l’incarnat.
Dans l’une l’on distingue une couleur pourprée ;
D’un violet obscur, dont elle est séparée
Par des lignes de lait, et des traits de feu,
Dont le mélange fait un panache inconnu.
Dans l’autre, un gris de lin, avec un bleu céleste,
Bordé d’un filet d’or, font une fleur modeste.
Le Soleil qui les peint de diverses façons,
Fait paraître une vue, au milieu des Plutons,
Produit un Perroquet, à côté d’une Agate,
Fait que l’une pâlit, et fait que l’autre éclate,
Et cinq ou six couleurs qu’il mêle plus ou moins,
De leur variété rendent nos yeux témoins.
Par des soins assidus, on a fait ici rendre
Les œillets les plus beaux, dont se pare la Flandre.
Le Phœnix, le Sultan, et le mignon Bourdon,
Le Noble, le Vineux, le fin Emerillon,
Le Fouetté, Blanc de lait, la Provence, l’Altesse,
Le Dauphin, l’Intendant, et la belle comtesse,
Sont des fleurs, sans crever, plus larges que la main,
Dont la coupe en bouquet, fait l’ornement d’un sein.
Le Jasmin, le muguet, l’iris, la ranuncule,
Qui jette feu plus vif, que celui qui nous brûle ;
Les jonquilles, les lys, les violettes de Mars,
Exalent des parfums si doux, de toutes parts,
Que le nez et les yeux, surpris de ces merveilles,
Semblent goûter du Ciel, les douceurs non pareilles.
Crainte de nous pâmer parmi tant de beautés,
Portons dans ces bas lieux nos curiosités :
Visitons à loisir la seconde terrasse.
Ces tonnelles vraiment ont ici bonne grâce :
Une à chacun des bouts, y présente à propos
Un lieu frais et commode à prendre le repos :
Le moyen de rester dans ces aimables cages,
Que l’odeur des jasmins, et de ces lys sauvages
A parfumé si fort, qu’elle ne peut souffrir
Les plus délicieux sans mourir de plaisir :
Mais que mourir ainsi parmi tant de délices,
Sont d’agréables morts, et d’innocents supplices.
Aux deux extrémités de ce second jardin,
Qui n’est pas inutile aux apprêts d’un festin,
Par les présents qu’il donne à faire ses potages,
Nous voyons deux enclos en deux plus bas étages ;
Le jardinier en l’un, sur des couches exprès,
Cultive, et fait mûrir les douceurs de Langais,
Le Melon, dont l’odeur, et dont le goût nous touche
Avec ravissement, et le nez, et la bouche,
S’y compose une chair, qui ne fait jamais mal,
De musc, et d’ambre gris, de sucre, et de coral.
La Tuberuse joint son odeur à la sienne,
Et de composé, de quelque part qu’on vienne,
En approchant ce lieu, tous les sens sont charmés,
Et plusieurs de plaisir, y demeurent pâmés.
Dans l’autre des enclos on cultive une vigne,
Dont les ceps étrangers sont plantés à la ligne,
L’échalas les soutient, ces sources de muscat,
Exprès par rareté, venus de la Ciotat,
Leurs fruits quoique éloignés de leur terre natale,
Conservent leur bonté, qui n’eut jamais d’égale ;
Et c’est par la faveur d’un propice Soleil,
Qui voit de tous côtés, Lanniron de bon œil.
Voyons avec plaisir la troisième terrasse.
Aux Légumes ici, les fleurs cèdent la place,
L’ asperge, et l’artichaut, le piquant céleri,
La rave, le chou-fleur, l’épicé salsifis,
La royale laitue, et la trop tendre alfange
Par un hardi mépris, aux fleurs donne le change,
Leur grosseur, leur tendresse, et le goût qu’elle ont,
Font connaître aux frians la bonté de leur fond.
Ainsi dans ces jardins, l’utile à l’agréable
Se joint, pour plaire aux yeux, et servir à la table.
Approchons de ce mur, qui défend à la mer
Aux douceurs de ces lieux, de mêler son amer,
Quel plaisir de la voir dans ses hautes marées,
Rouler à gros bouillon ses ondes azurées,
Courir après soi-même, et les flots étant las,
Avec la même ardeur retourner sur ses pas,
On dirait qu’elle veut aux grandes reverdies,
Escalader ces murs, par des vagues hardies :
Que pour ce grand dessein, elle s’enfle d’orgueil,
Mais dans son propre lit, je trouve son cercueil :
On la voit morte enfin. La lune qui s’en joue,
Après ses flots chassés, nous montre un peu de boue :
Ce torrent qui semblait aller tout abîmer,
Reste un petit ruisseau, qui se perd en la mer.
Les Ormes, les Cyprès, au long de ces murailles,
Pour servir aux plaisirs, plutôt qu’aux funérailles,
Croissent par artifice aux bords de ce canal,
Dont trop de voisinage, aux arbres est fatal :
Malgré les rudes coups des cruelles tempêtes,
Qui font par violence humilier leur têtes,
Le chèvrefeuille grimpant jusqu’à leur sommet,
Leur sert par ses contours, de cuirasse, et d’armet :
Il résiste avec eux aux vents les plus farouches,
Dont par ses doux parfums, il sait fermer les bouches,
Les plus fiers Aquilons, charmés de son odeur,
Se changent en Zéphir, et laissent leur fureur,
Et portant par les airs leurs suaves haleines,
Embaument à l’entour les côteaux, et les plaines.
Que vois-je ! qui se pousse avant dans ce canal,
En forme de redoute, ou de fer à cheval.
Voyons ce petit fort, ô ciel quelle merveille :
Sa rare invention, a t’elle sa pareille :
Une source d’eau douce au milieu de la mer,
Par un trait de cristal percer l’air, et darder
A vingt pieds de hauteurs son onde courroucée,
D’avoir été contrainte, et trop longtemps pressée,
Couronner un bassin parmi les flots salés,
D’une eau qui rafraîchit les poumons altérés,
Qui nourrit le Brochet au côté de la Sole,
Et quand la mer descend, qui monte, et qui s’envole,
Qui forme à gros bouillon la perle et le diamant,
Dont l’éclat dans les airs ne dure qu’un moment.
Et qui contraint enfin un Dauphin qui la pousse,
Dans la source du sel, de la regorger douce :
Est une chose à voir, et dont l’invention,
Donne à cause du lieu de l’admiration.
Ce n’est pas que ces lieux d’une beauté nouvelle,
N’en méritent sans doute une continuelle ;
Car la France n’a rien qui les puisse égaler,
Dont leur auteur se doit aisément consoler :
Il est vrai que ses soins secondés de la bourse,
Par d’extrêmes travaux en ont été la source,
L’avantage des lieux, et leur situation,
Servaient pour s’embellir de disposition ;
Mais pour donner cet air dont notre âme est ravie
Il fallait d’un Prélat la force et le génie,
D’un Prélat éclairé dont l’esprit agissant,
Fut sur mer et sur terre également puissant ;
A l’une il a donné des bornes plus petites,
Autant qu’il a de l’autre étendu les limites ;
Il fait sortir de l’eau douce au milieu de la mer,
Si le couroux la prend, il le sait bien calmer :
Ainsi de sa grandeur la Puissance est suprême,
Tout lui doit obéir, s’il commande à soi-même.
Ma Muse finissant ; je vois bien que mes vers
En veulent aux Vertus d’un Homme où je me perds,
Le poids de sa Grandeur accable ma faiblesse,
Mon style languissant, et l’offense, et le blesse,
Pour chanter son mérite, et son beau Lanniron,
Au lieu d’un médecin, il faut un Apollon.
De là pour les neufs fleurs, il élève un Parnasse,
Où conduit de plein pied la première terrasse,
Hors l’enclos de ses murs se présente un coteau,
Dont le penchant est doux jusqu’au bord de l’eau,
C’est là que se nourrit et se forme un bocage.
Sa solitude tient quelque peu du sauvage ;
Les Mirthes, les Cyprès, les Buis, les Alisiers,
Les Chênes, les Ormeaux, les Houx, et les Lauriers
Y font, à la faveur de leur ombre confuse,
Un entre chien et loup, où le jour se refuse ;
Celui qui s’y repose, en est saisi d’horreur,
Propre pour allumer la divine fureur ;
Dans ce lieu retiré, rien ne peut l’interrompre,
Que la vague qui vient contre un rocher se rompre,
Un Lapin en passant, un Merle, un Rossignol,
Tantôt par leurs chansons, et tantôt par leur vol,
Ou bien contre un serpent, la belette en furie,
Ont droit seuls de troubler sa douce rêverie.
Dans ce petit désert, loin du monde, et du bruit
A l’abri des rayons du Soleil qui nous luit
Couché sur des gazons, au bord d’une fontaine,
Sous un ombrage épais, il consulte sa veine
C’est ici que viendront, les Hommes les plus studieux
Parler de ces beautés, du langage des Dieux,
Par des termes choisis, pompeux, et magnifiques,
Au gré des curieux, ils les rendront publiques :
Ce chef-d’œuvre achevé de nature, et de l’art,
De ses perfections, à chacun sa part.
Mais Lanniron décrit d’un style véritable,
Doit pour ses vérités, passer pour une Fable,
En firmata salus nobis haec otia fecit,
Sic medicus, Vates est in utroque facer.
Nicolas de Bonnecamps
Les jardins depuis l'antiquité
Définition du jardin
Le jardin est un terrain où l'on cultive des végétaux utiles (potagers, vergers) ou d'agrément (parterre de fleurs, bosquets). Une source alimentaire née de l'évolution de l'agriculture puis devenue source de remèdes et de plaisirs. Une tentative pour dominer le monde en organisant l'inconnu de la végétation. Un Paradis terrestre, un " Eden " comme le suggérait Xénophon, philosophe et homme politique grec du Vème siècle avant J.C, en traduisant le mot hébreux " gan'eden " signifiant jardin par " Paradeisos ".
La notion de jardin a varié suivant les époques, les civilisations, les religions, l'histoire, la géographie, les climats... et ne peut aujourd'hui se résumer en une seule définition. Quoi de semblable en effet entre les jardins de l'intelligence de Versailles au XVIIème siècle, les parcs romantiques à l'anglaise et les jardins japonais ? Mais au-delà de cette évolution de " forme ", les jardins ont toujours répondu à un même besoin fondamental et anthropologique : un besoin primaire de contact avec la nature et à travers elle avec un ou des dieux, un besoin de contact avec l'univers.
A chaque époque les jardins ont résumé la culture, les aspirations profondes, l'inconscient, les rêves et même parfois les peurs des sociétés. Ils mettent donc en jeu toute une symbolique, un sens profond.
Le jardin repose sur une ambiguïté : il est un hommage à la nature et à ses forces invisibles, tout en exprimant le pouvoir absolu de l'homme sur l'ordre naturel.
Le jardin exprime la perfection et la puissance de la nature. C'est un résumé de l'univers dans sa totale perfection. C'est un espace privilégié où sont rassemblées des espèces végétales d'horizons divers.
Microcosme, résumé du monde, le jardin est chargé d'un message symbolique exprimant la puissance des dieux et la fécondité de la création.
Mais le jardin est aussi la preuve de la richesse, de la puissance et du pouvoir temporel de son créateur qui se substitue alors au dieu créateur. Dans cette création " contre nature ", l'homme dompte les végétaux, il triche avec les lois de la nature, il joue avec les saisons, les climats et les perspectives. Il modèle un espace à l'image de ses rêves. Il y exprime son idée du bonheur ou son ambition.
Cultivé, réfléchi, organisé et sécurisant, le jardin s'oppose à la nature sauvage, imprévisible et désordonnée. Créer un jardin est alors pour l'homme rendre son univers amical. Mais cette illusion d'ordre, ce compromis entre la nature et l'homme est très fragile et l'art des jardins disparaît très vite sous la pression d'une nature forte et finalement incontrôlable.
Chaque civilisation et chaque époque ont donc créé leurs style sous l'influence plus ou moins consciente de leur propre culture mais aussi de civilisations passées ou lointaines.
Les jardins de l'antiquité
Le tout premier jardin : Le jardin d'Eden...
Dans la tradition chrétienne, Dieu créa le monde et plaça l'homme et la femme dans un jardin luxuriant, symbole de paix, d'abondance et de protection : le jardin d'Eden, le Paradis.
Voici le description de ce Paradis, selon la Genèse :
" Yahvé planta un jardin en Eden à l'Orient, et il y mit l'homme qu'il avait modelé. Yahvé fit pousser du sol toutes espèces d'arbres séduisants à voir et bons à manger, et l'arbre de vie au milieu du jardin, et l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Un fleuve sortait d'Eden pour arroser le jardin et de là il se divisait pour former quatre bras. Le premier s'appelle le Pishôn, (...) le deuxième fleuve s'appelle le Gihôn (...), le troisième fleuve s'appelle le Tigre (...) et le quatrième fleuve est l'Euphrate. Yahvé prit l'homme et l'établit dans le jardin d'Eden pour le cultiver et le garder. Et Yahvé fit à l'homme ce commandement : Tu peux manger de tous les arbres du jardin. Mais de l'arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, tu mourras certainement. " Genèse, II 8-17
Cédant aux promesses illusoires du faux prophète symbolisé par le serpent, Adam et Eve désobéissent et sont alors chassés du Paradis par Dieu. Cette image du " Paradis perdu ", commune à de nombreuses religions va fortement influencer la création et la symbolique des jardins au cours des siècles.
Les jardins mésopotamiens

Les premières traces de jardins remontent à l'empire Mésopotamien.
La Mésopotamie, région de l'Asie occidentale située entre le Tigre et l'Euphrate, fut un des plus brillants foyers de civilisation entre le VIème et le Ier millénaire avant notre ère.
Art rudimentaire au début avec de simples cultures dans des grandes cuves, l' art des jardins s'est peu à peu développé parallèlement à l'empire Babylonien :
La conquête de terres au climat plus favorable favorisa la création de véritables " parcs d'acclimatations " comme par exemple celui de Sargon II roi assyriens près de Ninive à la fin du VIIIème siècle av JC. Cet immense parc regroupait toutes les espèces végétales du royaume telles que les Cèdre, Cyprès, Myrte, laurier, ainsi que du gibier pour les chasses royales.
Le parc était un symbole de puissance et de suprématie sur tout un royaume.
Un siècle après Sargon, Nabuchodonosor II, roi de Babylone créa pour sa femme : les célèbres " Jardins Suspendus " de Babylone. Ces jardins, composés de terrasses superposées de 45m sur 40m étaient irrigués par des chaînes hissant des godets. Ils longeaient les remparts de la ville près de la porte d'Ishtar, consacrée à la déesse de la fécondité. Cette proximité n'était pas due au hasard. Les jardins étaient alors, en plus de la preuve d'une incontestable puissance, un hommage à la déesse de la fécondité, mère de toute cette végétation luxuriante, créatrice de vie au milieu des déserts.
Ces jardins constituèrent pour les Grecs une des 7 merveilles du monde.
Mais les jardins mésopotamiens disparurent au VIème siècle av JC, après la prise de Babylone par Cyrus II le Grand, roi de Perse.
Les jardins persans

Les jardins perses étaient de véritables parcs à grande échelle, entourés de hauts murs (donc protégés des forces maléfiques) et très bien organisés. Ils étaient composés de vastes plantations rigoureusement alignées, de pelouses abondamment irriguées, de fontaines, de fleurs et fruits d'essences variées, de nombreuses espèces de plantes parfumées et colorées (ramenées des conquêtes en tant que butin de choix attribué au vainqueur), d'animaux sauvages pour la chasse et de pavillons noyés dans la verdure
pour la plaisance.
Ils connurent leur apogée sous les règnes de Darius, Xerxès et Cyrus II aux VIème et Vème siècles.
Planter un arbre : une tâche royale et un acte religieux.
C'était inscrire dans le paysage une hiérarchie.
Un grand parc organisé donnait l'illusion d'un ordre social respecté. Il intensifiait l'aspect mystique du pouvoir. Il était la preuve de la valeur et de la compétence du souverain et le symbole d'un pouvoir évident, d'un roi efficace.
L'organisation très géométrique de ces jardins divisés en 4 carrés ( ou rectangles) par 2 axes perpendiculaires ( canaux ou allées) était la représentation mystique de l'univers. Au centre se trouvait le palais, symbole du roi, maître et magicien, puissance fécondante qui préside à la nature ou alors une fontaine, source de vie. Mais cette organisation générale très strict était tempérée à l'intérieur de chaque carré par les fleurs, mises au hasard, symbole de la liberté de la nature. Ce panthéisme naturaliste, cette réverence envers les forces mystérieuses et incorporelles s'exprimaient par le luxe et la volupté, la jouissance d'un jardin merveilleux, clos et sacré, lieu de tout bonheur, de toute sainteté, de toute intelligence et de toute sagesse, représentation du paradis promis par les Dieux et appelé " chahar- bag " c'est-à-dire le " jardin-paradis ".

Les jardins égyptiens
Les jardins égyptiens
Apparus très tôt, les jardins égyptiens connurent leur apogée au XIVème siècle av J.C c'est-à-dire sous la XVIIIème dynastie, époque où l'Egypte, par ses conquêtes, rentra en contact avec l'empire Perse.
A cette époque, l'Egypte atteignit un stade très avancé et très sophistiqué dans l'art des jardins. Nous connaissons aujourd'hui les jardins égyptiens grâce à des peintures qui ornaient certaines tombes et qui représentaient un au-delà imaginaire et paradisiaque représenté sous forme de jardin.
On a des légumes, des herbes, des oliviers, des palmiers, de la vigne...
Le jardin égyptien apparaît comme l'un des modèles directs du jardin occidental antique. Développement des canaux, importance de l'eau, jardins plats enclos de murs, jardins subordonnés à la maison, asile de vie privée... toutes ces caractéristiques seront présentes dans les jardins romains, et par leur intermédiaire dans les jardins médiévaux.
Les jardins égyptiens s'organisent autour de deux éléments de base : l'eau et l'ombre.
L'eau est partout présente avec un réseau de canaux d'irrigation ainsi que des canaux plus grands où évoluent des barques, et des petits étangs rectangulaires remplis de plantes aquatiques, de poissons d'ornement et d'oiseaux de toutes sortes.
Ce vaste réseau de canaux est peut-être à l'origine de cette organisation très ordonnée et très systématique où arbres et plantes sont alignés et alternent suivant leur taille et leur espèce dans un espace ombragé et clos par de grands murs. A cette géométrie très rigide, répondent les couleurs, les formes et la luxuriance des fleurs mais aussi des légumes !A ce jardin de plaisirs se mèle le jardin potager. La dichotomie utilité - plaisir n'existe pas encore.
Les jardins grecs
Les jardins grecs
Le jardinage n'a jamais été très prisé en Grèce sauf peut être lors de la période hellénistique où les contacts avec l'orient apportèrent la conception orientale et égyptienne du jardin.
Une philosophie opposée à ses jardins
Même à l'apogée de tous les autres arts tels que la sculpture, l'architecture particulièrement riches en Grèce, les grecs n'ont jamais développé l'art des jardins qui, en tant qu'art associé au pouvoir personnel, à l'aristocratie et à la richesse d'une élite, ne correspondait pas à une société qui se dirigeait vers la démocratie. Au IIIème siècle avant JC, les Stoïciens s'élevèrent contre l'art des jardins. L'aridité et la sobriété attique méprisaient le luxe des " Paradis " orientaux. A ces freins idéologiques s'ajoutaient le manque d'eau et l'aridité de ce pays dévasté par les moutons.
Des jardins publics ou sacrés
On ne trouvait alors en Grèce que des jardins qu'on pourrait qualifier de " jardins publics " autour des Agora, Lycéum, gymnases,...
Le jardin était un lieu démocratique ou sportif qui deviendra cependant, peu à peu, un lieu de réflexion intellectuelle puis de plaisir et de repos avec l'influence orientale.
Le jardin grec est aussi, jusqu'à l'époque classique, sacré et planté auprès d'un temple ou d'un sanctuaire consacré à une divinité de la fécondité. L'aspect religieux prime alors sur l'aspect esthétique. On appelle ces jardins " les bois sacrés ".
Mais ces jardins sont plus le résultat d'un choix que d'une création véritable. Les grecs pensent en effet que le paysage contient un " genius loci " (le génie du lieu que l'on retrouvera en Angleterre). Le bâtisseur doit construire l'édifice sacré en fonction de celui ci, en harmonie avec la nature car le paysage naturel en tant que paysage des dieux est sacré avant même qu'on y installe un temple. Les bâtiments grecs devaient s'intégrer à l'harmonie originelle pour obtenir un équilibre.
Les jardins d'usage strictement domestique n'apparurent qu'à la période hellénistique avec ceux des tyrans siciliens - Denys l'ancien à Rhégion ou Gélon à Syracuse - et des rois se partageant le royaume d'Alexandre.
On agrémente les portiques par des promenades ombragées. Mais alors qu'un art des jardins est sur le point de naître la conquête romaine perturbe cette évolution.
Les romains vont faire la synthèse de toutes ces influences et vont créer une esthétique nouvelle.

Les jardins romains
Les jardins romains
Nous connaissons Rome en tant que ville phare, source de culture universelle, foyer de civilisation ayant eu une grande influence sur notre langue, notre philosophie, nos lois, notre architecture. Dans cet héritage riche, il ne faut pas oublier l'art des jardins romain qui, né de l'union des principes grecs helléniques, de la civilisation alexandrine et du monde oriental a, à son tour, influencé nos jardins.
De l' " Hortus " à la " Villa " : du jardin utilitaire au lieu de plaisirs
Rome a toujours été attachée à la terre qui fut la base de sa puissance et même à l'apogée de Rome, les romains gardèrent la nostalgie de leurs villas campagnardes primitives du latium.
A l'origine nous avons donc les " Hortus " : parcelles de terre attachées à la maison, bien essentiel d'une famille. L'hortus exprimait une révérence à la nature, à la divinité, on sacrifiait aux dieux Lares les produits du jardin. C'était l'époque de la " res rustica ". Priape, le dieu protecteur des jardins, évoquait le caractère miraculeux et sacré de la vie toujours renaissante.
On avait donc un jardin utilitaire en correspondance avec la frugalité de la vie et l'élévation de la pensée.
Puis de générations en générations le bien, les terres et les bâtiments s'agrandirent, les romains, en contact avec l'orient, prirent goût aux plaisirs et aux IIème et Ier siècle av J.C, on vit peu à peu naître les " villae " et apparaître des jardins inspirés du modèle oriental et du modèle grec, totalement différents des hortus primitifs.
Parallèlement à ces influences multiples, les romains furent à l'origine d'une grande nouveauté : La composition de paysages et la naissance de la taille plastique appelée art topiaire. Ce sont en effet les " Topiarus ", c'est à dire les jardiniers romains qui se mirent à sculpter
Les grecs peignaient sur leurs portiques de grandes fresques représentant des paysages. Les romains ont " concrétisé " cette peinture en créant des jardins paysagers aux abords des portiques. Le jardin romain est donc un tableau grec projeté dans les 3 dimensions de l'espace ! Le paysage romain fut un paysage sacré et d'agrément.
La religion romaine fut assez souple pour permettre aux jardins d'être à la fois des lieux religieux et de plaisance. Le plaisir était d'ailleurs considéré comme une preuve de la présence des Dieux.
Une invention romaine de taille ! "L'ars Topiaria"
Les romains découvrent que la vie rurale peut être raffinée et que le jardin peut être source de plaisir. C'est le début d'une vie plus individuelle éloignée de la vie communautaire que connaissaient les premiers romains. Le jardin se composa alors de terrasses, d'allées, d'arbres et de fleurs, de statues, de pavillons, de treilles, de bassins, de fontaines, de patios et de péristyles ...toujours organisés en fonction du palais et de l'architecture. Les meilleurs exemples sont les somptueux jardins de Pompeï ou Herculanum.
L'influence grecque passa à Rome par l'intermédiaire de la peinture.
les arbres. L'art topiaire, si souvent attribué à la Renaissance, aurait donc été inventé il y a plus de 1985 ans par le romain C.Mattius, ami d'Auguste ! Qu'il soit patio des maisons citadines ou jardin sophistiqué et luxueux des villae, le jardin romain, synthèse de plusieurs influences, va devenir à son tour modèle dans tous les territoires conquis sur le pourtour de la Méditerranée.
En plus des nombreux écrits de Pline le Jeune, le jardin romain nous a été transmis par des fresques en trompe l'œil qui ornaient les patios et péristyles et qui, avec les mosaïques faisaient oublier l'exiguïté de la maison, donnaient une illusion d'espace et égayaient la maison.

Les jardins islamiques
Les jardins islamiques
Le Jardin islamique, jardin de volupté.
La tradition du jardin fut très importante dans le monde islamique dès le VIIIème siècle et se répandit sur tout le pourtour méditerranéen en suivant la conquête arabe.
Ce peuple nomade, vivant sur des terres sèches et arides n'était en rien prédisposé à ce genre d'art mais il a su, avec talent, intégrer les influences et techniques des pays conquis et en particulier la Perse.
Le jardin arabe : Le Paradis du Coran
Lors de l'invasion de la Perse, les musulmans découvrirent les jardins et crurent arriver au Paradis décrit par le Coran. Le jardin est en effet un moyen d'annihiler la peur ancestrale que les orientaux ressentent à l'égard des déserts (vent, tempête de sable, soleil, manque d'eau, animaux féroces...). Le jardin est la fin du désert, de la soif, de la peur...on l'associe à la promesse coranique. Grâce à l'eau fécondante, on fait fleurir le désert ! C'est un acte presque surnaturel, signe de la puissance de Dieu.
Pour les arabes, créer un jardin est un acte de foi : Le jardin exprime la reconnaissance de l'homme envers la puissance divine qui lui permet de vivre. Le jardin est donc un symbole universel de vie, la recréation terrestre des images du paradis.
Le vert, couleur rassurante deviendra le symbole de l'islam.
Les grandes composantes du jardin islamique sont :
- un kiosque central d'où naissent 4 fleuves
- de grands arbres, êtres vivants qui touchent à la fois à la terre et au ciel, symbole du paradis éternel (car rien n'affecte le cycle de ses annuelles renaissances).
- impression de foisonnement, de luxuriance.
- importance des formes géométriques et des nombres comme par exemple le chiffre 8 symbole de perfection et chiffre du paradis.
- importance de l'intimité et de l'eau.
Au IXème siècle, en conquérant le pourtour méditerranéen, c'est-à-dire l'Egypte, le nord de l'Afrique et le sud de l'Espagne, les arabes vont imposer leur langue, leur religion et aussi leur conception esthétique et spirituelle du jardin. Cependant, ils vont aussi subir l'influence des civilisations auxquelles ils sont confrontés et leurs principes vont s'adapter à un substrat local lui même source d'inspiration.
Trois grands types de jardins vont donc se développer:
-TUNIS avec les " Aguedals "Ier siècle, jardins vergers ressemblants très fortement aux jardins persans ( grands carrés divisés par des canaux, plats, pavillons, grands bassins, abon-dance de l'eau...)
-L'Afrique du nord et l'Espagne, avec les " patios ", jardins enclos dans les cours des maisons.
Le Patio, clos de hauts murs, est donc un univers détaché du reste du monde, c'est une oasis dans le désert urbain, un univers absolument privé , lieu de tous les plaisirs ( de tous les sens), de raffinement (mosaïques, d'intimité, d'apaisement. C'est un lieu sacré avec vue sur le ciel.
Son organisation : un cadre net, divisé par 4 canaux (symboles des 4 fleuves de vie). Mais à l'intérieur de chaque carré, on trouve mélangés : des fleurs, des légumes, des arbres fruitiers, des herbes culinaires et médicinales...Il n'y a pas de pelouses monotones.
Une grande harmonie règne dans ces jardins : les arbres suivent les arches de l'architecture. Les patios sont comme des pièces en plein air.
Les jardins islamiques : des jardins sensuels. Les jardins islamiques font appel à tous les sens : l'odorat est charmé par le parfum des fleurs, le goût par de nombreux fruits sucrés tels que la pêche, l'abricot, la cerise..., la vue par les plantes décoratives associées aux mosaïques, et l'ouïe par le chuchotement des fontaines et des jeux d'eau.
L'importance des symboles géométriques dans les jardins musulmans
Les symboles géométriques, formes abstraites parfaitement définies, expriment la perfection de l'ordre cosmique divin, perfection absente chez l'homme et dans son univers agité et turbulent.
Les jardins, conçus avec beaucoup de soins, de façon géométrique, représentent donc la perfection et la pureté absente dans la nature et chez l'être humain. Le carré symbolise l'ordre terrestre, le cercle, la perfection divine et l'octogone, la lutte sur terre en attendant la perfection divine. Cette abstraction se retrouve dans tous les arts : mosaïque, tapis...
-Les jardins hispano-arabes de tradition mauresque, jardins rectangulaires divisés en 2 par un long canal central parfois prolongé par des embranchements perpendiculaires et bordés d'arbres fruitiers.
Au centre, une fontaine est ornée d'un pavillon. Ces canaux et allées délimitent des carrés d'arbres et de fleurs situés à un niveau inférieur (à Séville on a été jusqu'à 4m de différence de niveau entre les canaux et les parterres !). Parfois, à cause de la topographie et non par influence mauresque, ces jardins s'organisent sous forme de terrasses.
Les plus grands exemples sont à Cordoue, à Séville avec l'Alcazar et à Grenade avec l'Alhambra ou les jardins du Généralife du XIIème et XVème siècle. (Attention ces jardins ont été beaucoup modifiés depuis et ne reflètent plus aujourd'hui l'esprit de l'époque.)
Lors de la reconquête, les chrétiens perpétueront ces jardins hispano-mauresques car ils retrouveront des éléments familiers tels que les murs de clôture (nés d'une même peur de la nature !), l'importance de l'eau et symbolisme des nombres et de la géométrie...

Le jardin médiéval en Europe
Alors qu'en Orient l'art des jardins islamiques se développait et envahissait le monde méditerranéen, l'Europe oubliait les jardins romains.
La chute de l'empire romain, les invasions barbares, et la tradition chrétienne ascétique avaient tôt fait d'enfouir les techniques horticoles romaines au fond des mémoires pour une longue éclipse.
Cependant grâce aux provinces du sud qui avaient conservé une tradition rudimentaire de jardinage, à la renaissance Carolingienne, époque de commerce et de relations avec l'orient et l'Espagne et aux Croisades, l'art des jardins renaît petit à petit.
L' " hortus conclusus " et la symbolique du mur
Tout comme les orientaux avaient peur du désert, les occidentaux craignent la nature, perçu comme très hostile avec ses forêts infestées de bêtes sauvages, les marais transmettant les maladies et les épidémies, les intempéries ruinant les cultures et provoquant les famines, les rivières indomptées...
Les jardins du haut moyen-âge se sont donc protégés de cette nature hostile en se développant à l'abri de 4 murs. Ce sont les " hortus conclusus ", jardins clos, protégés du monde hostile.
Réservés dans un premier temps aux cultures vivrières ou médicinales, ils deviennent peu à peu des lieux de repos et de plaisirs. Le mur symbolise donc la défense contre l'environnement extérieur, la limite de l'environnement contrôlé. Mais il n'est pas seulement une barrière esthétique et horticole, il délimite l'aire consacrée aux usages privilégiés, réservée aux élus, il souligne le caractère exceptionnel de ce lieu " détaché des basses obligations alimentaires ". Accessible par une porte représentant l'allégorie du " passage ", " l'hortus conclusus " est le symbole de la perfection morale, de la création divine, de la totale félicité, abritée derrière de hauts murs et une toute petite porte.
Au moyen-âge, on trouve deux grandes sortes de jardins :
- le " Courtil " à l'intérieur du château, jardin, très géométriques, peu élaboré et au centre duquel se trouve une fontaine ou un puits.
- et le " verger ", qui bien que plus vaste (avec des allées couvertes, des promenoirs de verdure,...) et situé à l'extérieur du château est lui aussi clos de murs.
Nous connaissons ces jardins grâce aux miniatures et enluminures de l'époque. D'après ces documents les grandes caractéristiques en sont :
- disposition géométrique avec une division en damiers
- au centre : un puits avec un rôle fonctionnel et symbolique (symbole de vie, de pureté, de renouveau).
- jardins plats mais avec plates bandes surélevées de forme rectangulaire et plantées de fleurs (iris, arums, rosiers, oeillets...), de légumes (choux, girofle), d'herbes médicinales, odoriférantes, ainsi que de condiments (romarin, sauge, laurier, fenouil, menthe).
- utilisation de techniques héritées de l'empire romain telles que des panneaux de joncs tressés ornés de plantes grimpantes, des pergolas où s'accroche de la vigne, des tonnelles, des treilles, des bosquets en forme de galerie et bien entendu le célèbre art topiaire inventé par les romains.
- allées voûtées de tilleuls, ormes, charmes....
- volières, viviers, et ménageries exotiques.
- ainsi que la " Grande maison de Dédalus " c'est à dire un labyrinthe, symbole de cheminement initiatique.
Puis au fil des siècles, les jardins deviennent de plus en plus riches et élaborés, Les jardins redeviennent ce que l'antiquité en avait fait : l'image d'un monde merveilleux.
Ce coté merveilleux et fabuleux s'exprime à travers " la Galerie des Joyeusetés " ou " jardin-farce " ou " fantaisies hydrauliques ", du Domaine d'Hesdin, créé au début du XIVème siècle par les comtes d'Artois, univers cocasse rempli de jeux d'eau et d'automates inspiré des jardins orientaux.
Le roi René d'Anjou préféra une ménagerie extraordinaire, où l'on pouvait voir des éléphants, des lions et autres fauves, des autruches....
On remarque donc à la fin du moyen-âge, une aspiration au luxe et à la joliesse en rupture avec la rigueur et la monotonie des 1er siècles du moyen-âge.
Le jardin et l'amour courtois
C'est un lieu de repos et d'intimité dans un monde médiéval où la promiscuité est chose courante. Cadre idéal où doit se dérouler le cérémonial de l'amour courtois, c'est un environnement paisible et délicat où prévaut la " culture ", loin de la raideur de l'architecture défensive des châteaux de l'époque. Lieu des madrigaux et des poésies galantes, des sentiments délicats, de la sensibilité, le jardin est donc associé
à la femme car lieu du raffinement.
On ne saurait parler du jardin médiéval sans évoquer la rose, fleur essentielle au Moyen- Age, symbole de l'amour sublimé et inaccessible, magnifiquement décrit dans le célèbre " Roman de la Rose ", écrit au XIIIème siècle par Guillaume de Lorris en 1772 vers, histoire de la relation entre un homme et une rose dont il tombe amoureux.
Le jardin correspond aussi à l'idéal ascétique chrétien. La communauté doit subvenir à ses besoins. Le jardin est donc indispensable.
On y trouve 3 jardins dans les grands monastères :
- le " jardin des simples " : situé près de l'hôpital, où on cultive les plantes médicinales.
- le verger, situé dans le cimetière
- un potager, où on cultive les légumes et les plantes aromatiques. Mais la plupart des monastères, de taille moyenne, ne possèdent que des petits jardins où on trouve l'essentiel à la survie de la communauté et des pelouses bien taillées. Mais parallèlement, le jardin est un lieu simple propre à la méditation. Jardiner est un refuge spirituel.
On a donc eu une évolution des jardins au Moyen Age : d'abord utilitaires lors des premiers siècles du Moyen Age (comme dans les monastères ou les châteaux), le jardin est devenu décoratif. C'est le jardin du divertissement mais aussi des jardins de curiosités.
Le jardin est le lieu idéal pour exprimer ses sentiments. A la fin du Moyen-âge, on y composait et chantait madrigaux et poésies galantes.
Lors de la reconquête, les chrétiens perpétueront ces jardins hispano-mauresques car ils retrouveront des éléments familiers tels que les murs de clôture ( nés d'une même peur de la nature !), l'importance de l'eau et symbolisme des nombres et de la géométrie...
Les jardins italiens
Vers le XVème et le XVIème siècle, l'Italie subie un transformation profonde et générale de la société due à de nombreux facteurs politiques, sociaux et économiques.
C'est ce qu'on appelle : la Renaissance.
Ces changements dans le domaine sociale vont avoir des répercutions sur le domaine des arts et évidemment sur l'organisation des jardins.
Mais ce n'est pas une révolution, une renaissance totale, car le jardin médiéval était déjà complexe dans son symbolisme et évolué dans ses techniques issues de la période romaine. On a donc une grande continuité même si il y a des transformations.
Ces jardins vont se développer dans l'esprit du siècle, en accord avec le courant humaniste.
Aidés des textes antiques et des premières découvertes archéologiques, les italiens vont créer leurs propres jardins sur la base des canons antiques.
L'HUMANISME est un mouvement intellectuel animé par la volonté d'un retour à l'âge d'or de la culture.
Par l'étude de la philosophie et de la littérature grecque et romaine antique, on recherche l'alliance de la beauté, du savoir et de la perfection de la personne humaine. On lit Platon, Xénophon et Pline le jeune,...( tout deux ayant écrit sur les jardins.) Les humanistes vont donc adopter cette philosophie ainsi que le mode de vie romain (lecture,réflexion, discussion, villa à la campagne) et de fait leur art des jardins.
" Le jardin est un lieu de plaisir, le " locus amoenus " plein de gaieté, qui pourtant résonne d'amour et des lamentations des poètes ; c'est un refuge pour la méditation privée, un lieu de fêtes, de réunions d'amis, un endroit tel que le conçoit Boccace, de liberté intellectuelle et sexuelle, qui favorise les discussions philosophiques et qui restaure le corps et l'âme.
C'est le modèle d'un univers tempéré et bien ordonné, une expérience d'immortalité, un printemps éternel. Il sert de galerie de sculptures, de pinacothèque, d'encyclopédie horticole in vivo, de centre botanique, de recherche médicale et de théâtre d'imitations fantastiques. Il est enfin une source constante d'instruction morale. " Eugenio Battisti.
" Le Songe de Poliphile "
Tout comme " Le Roman de la Rose " symbolise le jardin médiéval, la Renaissance
possède son livre référence : " Le Songe de Poliphile ". Ce livre écrit par Alberti puis
romancé par Collona est à la fois un roman, un traité d'architecture, d'archéologie, de
philosophie, un essai sur l'esthétique, sur l'histoire de l'art...
Il nous décrit des jardins merveilleux en rupture totale avec les jardins
médiévaux où se mêlent architecture rigoureuse ( topiaire à côté de monuments de
style antique) et nature libre. C'est un hymne à la nature, une quête de la perfection,
de l'amour et de la beauté dans l'idéal humaniste.
Autre changement de taille : La nature est désormais tolérée mais tempérée,
limitée, soumise.
On ne garde que ce qui est facilement contrôlable (les arbres à feuilles persistantes
faciles, topiaires, fleurs et arbres en pots plus faciles à changer et à transporter,
utilisation du sable coloré insensibles à l'évolution des saisons à la place des fleurs ).
Le XVIème siècle est le monde du rêve, de l'irréel et du fantastique pour oublier
la course inéluctable vers la mort. Des entrées de grottes ou des fontaines en formes
de bêtes merveilleuses comme celles-ci sont donc très courantes.
Cette fontaine de la Villa d'Este est un bon exemple de l'exubérance de l'eau dans les
jardins italiens.
branches. " 1460
- Importance du lien avec la nature. Contrairement aux jardins du Moyen-Age clos de murs, les jardins italiens sont organisés en fonction du site, de la topographie, de la vue...on place la maison et le jardin sur une colline pour obtenir un contact visuel avec la nature par l'intermédiaire d'un canal qui porte la vue jusqu'à un panorama naturel.
- Les statues antiques, découverte dans des ruines sont placées dans les jardins comme par exemple dans les Jardins du Belvédère à Rome, créés par Bramante, ou encore à la villa d'Este. Mais attention, leur présence est simplement formelle, le caractère sacré a disparu.
A ces grands thèmes antiques s'ajoutent des éléments dus à la topographie ,à la sociologie et aux goût de l'époque :
- Le relief vallonné de l'Italie, favorise, ou nécessite, la création de terrasses.
Celles ci permettent tous les jeux d'eau entre niveaux, cascades (grâce à des automates et machines hydrauliques), grottes, bassins ornés de sculptures étranges, escaliers... On utilise les accidents de terrain pour donner libre cour à la créativité de l'eau et jouer sur la perspective.
- Le jardin abdique son autonomie, il devient le développement de la façade. Les perspectives sont développées à partir de l'édifice auquel est subordonné le jardin.
-Le jardin, résumé d'un monde parfait, reflet du monde spirituel est soumis à des règles précises ( importance des angle, points de vue, parterres, allées, axe central ...)
- Propriété des grandes familles, le jardins est le cadre de tout un cérémonial de cours. Il devient un instrument de prestige.
L'Epoque Baroque
Certaines caractéristiques du jardin italien de la Renaissance sont directement issues des jardins antiques :
- l'harmonie et les proportions nées des traités d'architecture antique sont adaptés aux jardins.
- Intégration de l'architecture et de la végétation (cours , loggia....)
- Importance de l'eau, des fontaines, des jeux d'eau, des cascades. Les italiens vont porter à son paroxysme la plasticité de l'eau pour aboutir à des créations extravagantes comme les orgues hydrauliques de la villa d'Este.
" On y plaça la fontaine en bronze en forme de chêne surmonté d'un aigle, le tronc formant la conduite centrale de la fontaine, et des étourneaux étaient disposés de manière à ce que l'eau jaillisse de leurs becs. Le nid de l'aigle formait un vase au milieu duquel se tenait l'oiseau ; l'arrivée d'eau et l'ensemble était disposé de manière à ce que l'eau coule du nid et des Dynamisme, courbe, perspective, trompe l'œil, contrastes dramatiques d'ombres et lumières, rochers, grottes et fontaines secrètes, géants, mer artificielle et chorégraphies nautiques, théâtres aquatiques, monstres surréels....autant d'éléments où s'expriment le doute et l'incertitude face à l'avenir, la peur...
C'est le règne de l'idée de merveilleux et surréel. Pour oublier toutes ces angoisses on créé un monde de rêve et de fête pour profiter de chaque instant avant que la mort, inéluctable, ne nous emporte. Mouvante, vivante, l'eau est l'élément favori de la période baroque.
Au XVIème siècle , les grands principes de la Renaissance vont se trouver un peu ébranlés par de nouvelles théories et découvertes ( Galilée, Newton) qui par leurs révélations bouleversent les fondements des croyances religieuses et philosophiques : incertitude de l'avenir, fin de la croyance en un monde défini et prévisible, l'homme prend conscience qu'il n'est plus le centre du monde.Cette période de remise en question s'appelle " l'âge Baroque ". Toutes les distorsions spirituelles vont provoquer des distorsions spatiales, architecturales et vont aussi transformer les jardins.

Les jardins français
Les jardins français
La France et les " jardins de l'intelligence ".
Le jardin à la française pourrait se résumer en deux phrases de Saint Simon :
" Le plaisir suprême de forcer la nature ".
" Le roi se plut à tyranniser la nature, à la dompter à force d'art et de trésors. "
Le but du jardin à la française est de transformer un paysage naturel en œuvre d'art, d'en faire un univers miniature parfait, symbole de la conquête du temps, de l'espace, et de la vie végétale, face à ces grandes forêts sombres et effrayantes et à une végétation envahissante et incontrôlable. On va dompter, contrôler et sculpter la nature.
La beauté de ces " jardins de l'intelligence " sera donc plus intellectuelle qu'émotionnelle car basée sur la géométrie et la raison.
Les jardins du pouvoir
L'art des jardins français a pour but de magnifier l'image du roi en tant que " Héros vivant ". A l'aide de la mythologie antique, on assimile la valeur des rois à celle des héros. Les jardins deviennent des symboles de la monarchie absolue du roi qui impose à l'environnement, comme à son royaume, des règles rigides et strictes. (ex : Versailles).
Le domaine tout entier devient un monde fermé avec ses lois et ses symboles tous tournés vers un seul but : la gloire de l'esprit et du maître des lieux. Le jardin joue donc un rôle politique de par son existence et son organisation, mais aussi par son utilisation : " Le jardin est le théâtre de la vie de cours ". Le jardin devient l'irremplaçable théâtre d'un certain type de relations sociales basées sur les grandes fêtes privées, la hiérarchie, le paraître...
Deux anecdotes intéressantes montrent l'importance du rapport entre jardin et pouvoir.
En 1664, Louis XIV fit arrêter son surintendant des finances, Fouquet, vicomte de Vaux, pour vol dans les caisses de l'Etat. Quelques années auparavant, celui ci avait fait construire de magnifiques jardins à la française dans son domaine de Vaux le Vicomte et y avait invité le roi pour des fêtes somptueuses. Louis XIV aurait-il eu peur de cette preuve de puissance ? Quoi qu'il en soit, le roi confisqua les biens de Fouquet, s'appropria ses orangers et engagea tous les artistes qui avaient élaboré une telle merveille pour construire les jardins de Versailles. Entre 1689 et 1704, Louis XIV rédige un " mode d'emploi " des jardins de Versailles : " Manière de montrer les jardins de Versailles "! Il élabore un parcours pour offrir à la vue des visiteurs la mesure exacte des dimensions gigantesques du gouvernement humain de la nature... C'est une approche très contraignante du jardin ! C'est plus que la fierté du propriétaire, c'est comme un
ordre impératif.
Au XVIIème siècle, de nombreuses découvertes vont révolutionner l'art des jardins :
- Les théories sur l'eau, la gravité, la pression atmosphérique et l'écoulement des liquides permettent le développement de superbes architectures liquides et jeux d'eau.
- Avec les recherches sur la perspective, l'illusion, la perception visuelle...l'espace devient un objet d'émerveillement et de surprise.
On développe des jeux optiques pour augmenter les impressions de profondeur, de répétitions, les anamorphoses...On joue avec les éléments pour atteindre la perfection et l'harmonie. Le jardin va être le domaine de l'illusion théâtral comme les jardins italiens ; le lieu des fêtes et des spectacles tels que " Les Plaisirs de l'île enchantée " ou les pièces de Molière, qui eux aussi contribuent à la propagande politique de la monarchie (parce que le roi est lui même acteur ou par analogies avec les personnages du spectacle).
On organise le jardin en fonction des spectacles qu'on y jouera (ex : théâtres d'eau ou salles de bal, machineries secrètes, espaces vides volontairement aménagés pour le jeu des acteurs, des peintures en trompe l'oeil sur des toiles et des décors amovibles...). Monde de la fantaisie et du faste, les jardins à la française sont des décors féeriques d'opéras.
- De ce fait, l'horticulture et le développement ou l'acclimatation d'espèces nouvelles passe au second plan.
Les grands ingénieurs français :
La magnificence et le haut degré de perfection des jardins à la française est du à des grands noms français, à la fois architecte, technicien, pépiniériste, botaniste, dessinateur.
Les machines hydrauliques de Salomon de Caus, architecte et scientifique du XVIème siècle. La Famille Francine chargée des fontaines royales. Les parterres et l'art des broderies.
Au XVIème et XVIème siècles, J.Androuet du Cerceau, Du Pérac, " Grand architecte du Roy ", ainsi que la famille Mollet associèrent haies en buis taillé, topiaires, figures géométriques, parterres de fleurs et dessins réalisés à partir d'éléments minéraux tels que le mâchefer, le sable ou la brique pilée, plus adaptés à la lisibilité graphique et inaltérables au cour des saisons.
Enfin, on ne saurait retracer l'histoire des jardins français sans évoquer le jardinier exceptionnel que fut Monsieur Le Nôtre (1630-1700). Issu d'une famille de jardiniers du roi de père en fils ( Son grand père était chef jardinier des Tuileries sous Catherine de Médicis, son père travailla aux Tuileries sous les ordres de Claude Mollet puis devint jardinier en chef du roi), expert en optique, créateur de perspectives illusionnistes, Le Nôtre sut mener à son plus haut point l'équilibre de composition. Il su associer rigoureuse logique, raison, ordre, symétrie et très sage fantaisie pour provoquer l'enchantement de l'esprit, en ignorant les infinies nuances de l'émotion et de la sensibilité.
Plusieurs influences :
La survivance des traditions médiévales françaises se traduit, au début de la Renaissance, par l'adaptation des jardins à une architecture austère faite de tours, murs et douves et une composition plus masculine, plus ordonnée, rationelle, due à l'aspect guerrier du noble français, moins "délicat" que l'italien.
La topographie plane et horizontale de l'île de France et de la vallée de la Loire va favoriser la création des " jardins en tapis ", ou en "carreaux" (avec J. Androuet du Cerceau) différents des jardins italiens en terrasses.
Ces deux premières caractéristiques proprement françaises vont être peu à peu tempérées par l'influence italienne qui pénètre en France avec Charles VIII, François Ier, Catherine de Médicis...Fascinée par cette Italie, symbole de luxe et de raffinement, la France va faire des emprunts au style italien : raffinement, goût pour le grandiose, le théâtral, les statues, l'importance de l'eau, légères terrasses, et le début d'une "
ouverture " des jardins qu'on ne confine plus à l'intérieur du château.
Mais attention la France n'adopte pas toute l'Italie ; C'est seulement un décor italianisant. Le style français, conservateur, fait d'ordre, d'équilibre, de mesure et de calme se substitue à la richesse extravagante de l'esprit italien tout dans l'imprévu, le rêve et la fantaisie.
Toutes ces adaptations originales issues de l'époque médiévale française et de la Renaissance italienne vont progressivement évoluer et former au milieu du XVIIème siècle une synthèse que l'on appelle : le jardin à la française.
Les grands jardins à la française de l'époque
comme Rousseau, à reconnaître lucidement la perfection de l'ordre naturel et à peser l'insignifiance des entreprises humaines .
" La plus petite branche n'a pas la permission de croître au gré de la nature et nulle forme n'est jamais admise qui n'ait l'emprunte de la science, et qu'on ne puisse déterminer au niveau et au compas. " William Chambers 1722 Villandry, magnifique reconstitution, exemple des jardins en carreaux du XVIème siècle.
" Le jardin classique est l 'expression achevée d'un siècle à la fois puéril et grandiose, fier de jouer avec les symboles, les formes, les lumières et l'eau. "Bien que sévèrement critiqués par les anglais, ces jardins " à la française " eurent pendant trois siècles une ascendance internationale sans égale.
Cependant, à la mort de Louis XIV, le siècle du roi soleil s'achève et par une coïncidence très étrange, on commence, avec des homme, le roi. Versailles est la preuve de la puissance de Louis XIV, de l'ordre qu'il fait régner sur tout ce qui l'entoure : les hommes, l'architecture et la nature.
Quelques chiffres montrent le côté grandiose de ces jardins : 1619 hectares, entourés d'un mur de 42 km, 1400 fontaines alimentées par l'eau de la Seine pompée avec 14 roues à eau et 221 pompes, puis conduite dans des bassins à 162 m au dessus du niveau de la Seine et enfin dans les réservoirs du palais à 8 km !
Marly, point culminant d'une période située sous l'égide de la Raison et de la Géométrie.
Commencés sous les ordres de Le Nôtre, les jardins de Marly furent terminé sous la direction de Jules Hardoin Mansart et de Louis XIV.
On a donc perdu la subtilité de Le Nôtre en poussant au maximum le côté dirigiste. A Versailles, tous les symboles étaient sous entendus, on avait encore des surprises, des jeux de plans.
A Marly, c'est différent : tout est placé sous le signe de la suprême autorité de " l'astre-roi " et on affiche cette suprématie sans complexe et sans subtilité avec des symboles et une géométrie implacable.
Dans ces jardins classiques, Dieu est totalement ignoré. C'est la nature méticuleusement ordonnée et contrôlée à la perfection par les hommes et surtout par le roi. Le premier jardin classique français fut celui de Vaux le Vicomte.
Une seule phrase de la Fontaine suffit à décrire l'essence même de ces jardins :" deux enchanteurs pleins de savoir firent tant par leur imposture qu'on cru qu'ils avaient le pouvoir de commander à la nature "
Qu'il s'agisse du château ou des jardins, Versailles est un véritable " complexe symbolique ", image d'une nation assujettie à un seul monarque.

Les jardins anglais
Les jardins anglais
u début du XVIIIème siècle (vers 1720), l'Angleterre se rebelle contre la rigueur glacée des jardins à la française, incompatibles avec le respect de la nature. Celle-ci a perdu son côté menaçant et des hommes comme Rousseau, Schiller et Goethe lui donnent une valeur romantique et transcendantale.
Au " plaisir suprême de forcer la nature ", les anglais préfèrent " les oeuvres de la nature qui sont plus ravissantes que des démonstrations artificielles ".
On veut retrouver les formes naturelles d'un arbre, le murmure d'un ruisseau au cours capricieux, le mouvement aimable d'une colline...on veut exprimer une révérence à la toute puissance de la création.
C'est la philosophie du " retour à la nature ". Une nouvelle tradition de jardins voit le jour.
On recherche les "jardins de la sensibilité" opposés aux jardins de l'intelligence."
Le jardinage dans son ensemble est peinture de paysage. "
Ce nouveau courant doit beaucoup aux peintres du XVIIème siècle tels que Le Lorrain ou Nicolas Poussin. En effet, les anglais vont matérialiser les peintures de ces artistes, inspirés par l'Italie, exprimant la sérénité de la campagne virgilienne, de la Rome antique et de ses paysages pittoresques.Ils vont organiser leurs jardins comme des scènes de tableaux avec plans, perspectives, effets de couleurs, éléments antiques...Le paysagiste William Shenstone dira d'ailleurs " Le peintre paysagiste est
pour la composition d'un domaine, le meilleur inspirateur du jardinier. "
Dans quelles conditions vont se développer ces jardins ?
- Une grande tradition rurale avec des nobles qui, à l'inverse de la noblesse française, vivent sur leurs terres et revendiquent leur amour de la nature.
- Une faible influence italienne et française du fait de l'insularité et de l'intérêt tardif de l'Angleterre pour l'art du jardinage (XVème siècle).
- Le protestantisme et son respect des beautés créées par Dieu, pures des " souillures de l'homme ".
- La grande politique d'enclos et de reboisement qui favorise la création de parcs paysagers.
- L'influence des jardins chinois d'où le nom de " jardins anglo-chinois " parfois donnés à ces jardins.
Le "Sharawadgi"
Par l'intermédiaire des colonies et des missions chrétiennes, on découvre en Chine une esthétique fondée sur l'asymétrie, la sensibilité et le naturel. Cette esthétique sera définie par le mot " sharawadgi " transcription erronée des mots chinois " saro wai chi " signifiant " grâce un peu folle " ou " san lan wai chi " " composition établie sans ordre " ou encore " so ro wan di " qui signifie " composition asymétrique ". Mais s'ils retiennent l'impression générale des jardins chinois, les anglais n'en adoptent pas du tout la symbolique religieuse et philosophique !
Les grandes caractéristiques des parcs à l'anglaise.
- Le volume et le naturel
Bassins, lacs, sentiers, clairières, bosquets touffus, fleurs et arbres retrouvent des contours naturels. On veut exprimer une révérence à la toute puissance de la création. Cependant, ce respect de la nature, cette impression de naturel n'est qu'apparent car collines, lacs et forêts sont artificiels...Tout est étudié et forme en général une espèce de régularité. L'homme intervient donc encore beaucoup, mais contrairement aux français, ne le montre pas !
- On travail en ne suivant aucun niveau ni aucune ligne ; on aime les paysages accidentés. On travail à partir de croquis plutôt qu'à partir de plans.
- Les " Fabriques "
Les fabriques sont de petits édifices décoratifs d'inspiration antique, orientale (édifices turcs, temples grecs, pyramides égyptiennes) ou extrême orientale (pagodes chinoises). Ces petites constructions de fantaisie, parfois délibérément en ruine, ornèrent progressivement les parcs anglais. Destinées à sacraliser les lieux ou à inviter le promeneur à la réflexion, ces preuves du génie humain n'étaient-elles cependant pas en contradiction avec cette révérence envers la nature ?
A l'origine, support à la réflexion, ces fabriques vont se multiplier et progressivement perdre leur coté symbolique pour ne devenir que de simples décors.
Comme tout mouvement, l'art des jardins anglais a évolué du XVIIIème au XIXème siècle. Intéressons-nous aux grands jardiniers-paysagistes anglais et à leurs différents styles.
Les jardins paysagers (1720-1760)
Mais attention Brown a aussi ses opposants en Angleterre:
Certains ne voient dans ses créations que des " étendues éternellement ondoyantes ". On lui reproche son manque de vitalité. Chambers fait partie de ces hommes qui s'opposent à Brown et à son réalisme. Il veut donner un peu de vie et de fantaisie à ces jardins qui sont trop secs et trop ennuyeux "dans lesquelles on a proscrit jusqu'à l'apparence même de l'art ; en sorte que nos jardins diffèrent très peu des champs ordinaires, tant la nature vulgaire y est servilement copiée".
Humphrey Repton fut le dernier grand paysagiste de ce mouvement. Créant, comme Brown, des parcs intégrés au paysage, il a cependant rompu avec le " naturalisme " de celui-ci en remettant à la mode les fleurs et les fontaines que Brown trouvait tropartificielles. A la jonction du style paysager et du style pittoresque, il se trouva au cœur de la bataille opposant ces deux courants.
Achille Duchêne, architecte paysagiste, 1935:" C'était l'époque (1860-1880) d'abondance cossue où l'on voulait du solide et du vrai pour les constructions particulières. [...] Les jardins eux aussi étaient en harmonie avec cette vie fastueuse ; mais l'excès même de l'ornement, de l'inutile et de la dépense affectée au service d'un art devenu factice devait les entraîner à la décadence. La conception d'où ils dérivaient conduisait à une vraie parodie de la nature : Vallonnement de pelouses exagérés, fausses petites rivières à fond de ciment, ponts rustiques, grottes en simili rochers [...], arbres rares mis en valeur sur des éminences de terre, [...] abondance des mosaïcultures, kiosques en série d'exposition [...], le tout affligé, le plus souvent d'une totale absence de goût. "
Les jardins pittoresques ( 2ème moitié du 18ème siècle)
Les partisans de cette nouvelle esthétique optèrent pour l'exagération. Ils recherchaient en effet des émotions neuves et fortes grâce à des paysages tourmentés et sauvages. Abandonnant " les étendues éternellement ondoyantes " de Brown, ils redonnèrent de la vitalité aux parc anglais en inventant si besoin des sources d'émotions.
Les jardins fleuris (début 19ème)
Pendant des siècles la fleur avait été, de façon absurde, bannie des jardins, qu'ils soient paysagers ou à la française. Un peu rétablie par Repton, elle ne retrouve sa véritable place qu'avec les tenants du pittoresque. Sa présence désordonnée et parfois sauvage s'intègre parfaitement à ce nouveau mouvement.
Ce retour en grâce de la fleur se double d'expéditions coloniales, de l'ouverture de parc botaniques et de la création de la société d'horticulture de Londres en 1804. Progrès scientifiques, collections et hybridations placent l'Angleterre à la pointe du jardinage et de la botanique.
L'émergence des classes moyennes due à la révolution industrielle, les ouvrages de vulgarisation de Loudon et l'invasion de fleurs exotiques transforment totalement l'aspect des jardins au XIXème siècle que se soit au niveau de leur taille ou de leur organisation ou de leur symbolique. On aboutit dans les années 1850-1860 à un mélange des genres et des couleurs étranges, à un goût du sentimentalisme et des arbres pleurants qui conduisent parfois à un mauvais goût effrayant ! On est loin des aspirations
du 18ème siècle.
Les jardins qui naissent alors ne conduisent plus à des méditations sur l'ordre souverain du monde, l'exaltation de la nature. La grandeur et le dépouillement font place à la grandiloquence et à l'accumulation destinés à prouver la réussite sociale.
Parallèlement à la progression des sciences horticoles et de la richesse végétale, on assiste à un appauvrissement des idées. Serres, arboretum, parcs et jardins publics alors en pleine extension ne sont que des éléments scientifiques, sociologiques ou urbanistiques.
Les jardins sauvages ( fin XIXème, début XXème)
" Il faut que la main invisible de l'art travail partout en accord avec la nature. " Wordsworth.
Après les premières tentatives novatrices de Ch Bridgeman, premier à introduire une certaine asymétrie et à briser le coté monotone des jardins, William Kent, admirateur de Poussin, Le Lorrain et de Palladio, fut Le grand paysagiste de l'époque. Loin des jardiniers français botanistes et architectes, Kent avait reçu une formation de décorateur d'intérieur et de metteur en scène ! c'est cette formation artistique qui lui permit de " sauter la barrière " (d'après Walpole), d'adopter un style beaucoup plus naturel et de mêler avec goût paysages naturels et fabriques.
On ne peut parler des parcs anglais sans citer celui qui laissa la plus grande trace dans le paysage anglais en créant ou améliorant environ 150 domaines : Lancelot " Capability " Brown. Vrai " tornade " qui déferla sur l'Angleterre de 1750 à 1788, il détruisit beaucoup de jardins de style renaissance pour créer à la place des jardins poétiques conformes au " modèle naturel ".
S'insurgeant violemment contre toutes les fabriques de Kent, il voulait donner l'image de la réconciliation avec une nature non violée en utilisant des ceintures de forêts, des cours d'eau sinueux, de grands arbres formant progressivement des forêts denses, et des bosquets.
Bien que se définissant comme un " embellisseur de paysage " et prônant la supériorité du naturel sur l'artifice, Brown reconstruisait artificiellement un paysage naturel et était donc aussi autocratique avec la nature que les paysagistes français !
Influence des jardins anglais en France
Alors que l'Angleterre fait sa " révolution ", la France des lumières délaisse ses " jardins à la française " coûteux et ne correspondant plus à l'idéal philosophique du moment. Quelques années plus tard, la révolution française et l'exil de la noblesse donnera le coup de grâce à ses jardins " à la française ".
Cependant la France n'adopte pas tout de suite ce nouveau style.
Au départ, les parcs à l'anglaise ne sont que des extensions des anciens jardins classiques (par exemple autour des Trianons à Versailles).
Puis les français hésitent, juxtaposent, pour obtenir ce que l'on appelle le style mixte, jardins paysagers sur lesquels se greffent des éléments géométriques, mythologiques, des statues...d'inspiration française. L'art s'ajoute à la nature.
C'est aussi l'époque des " Fermes ornées " , c'est-à-dire des grands domaines où la vie rustique et naturelle se pare de quelques ornements.
Mais peu à peu, malgré leur totale opposition aux jardins de style français, et l'étonnement des paysagistes français devant les techniques " empiriques " des anglais, les parcs à l'anglaise s'imposent (Ermenonville dès 1760 !, Bagatelle, Chantilly, Malmaison mais aussi Versailles.)
Ce style naturel s'inscrit dans une mouvance générale de retour à la nature, de philosophie basée sur l' " universelle fraternité " et le mythe du bon sauvage et d'aspirations sociales.
Mais, aux dire des anglais, contrairement au " gentleman gardener " anglais, les français ne s'intéressent pas assez à la vie rurale. Ils n'invoquent pas assez le " génie du lieu ".
Le " génie du lieu " doit être ressenti par le créateur qui s'y soumettra lors de la création de son œuvre. Il ne faut pas " blesser " l'âme de la nature. On retrouve la même idée que chez les romains qui choisissaient les sites de leurs temples en fonction des manifestations des dieux. L'homme ne devait pas perturber l'harmonie que cet esprit avait instauré et devait donc s'intégrer à l'unité qui régnait déjà. Même attitude chez les chinois qui recherchent la communion totale avec le site choisi afin de lui imposer la contrainte la plus légère possible.
Les jardins français évolueront de la même façon qu'en Angleterre, c'est-à-dire vers une allure tapageuse, preuve de richesse des nouvelles classes montantes.
Voltaire : " Jardins il fait que je vous fuie trop d'art me révolte et m'ennuie j'aime mieux ces vastes forêts, la nature libre et hardie irrégulière dans ses traits s'accorde avec ma fantaisie. "
" Un français n'est jamais trop épris de nature. La nature lui appartient et il faut qu'il la domine de façon évidente à tous les égards. "
Pour les anglais, tout obstacle est incompatible avec la " respiration " de la nature. Cette nature, désormais " respectée " ne doit subir aucune entrave. Le domaine, le jardin et la nature doivent former un tout sans barrières ni limites.
Le jardin se débarrasse donc du mur, son corset médiéval et classique , il s'ouvre. Les barrières de l'" hortus conclusus " tombent.Il faut cependant protéger le jardin des incursions indésirables telles que le bétail ou les animaux sauvages. Les anglais vont donc adopter une invention française appelée " saut de loup " ou " HaHa " d'après l'interjection lancée par les promeneurs devant ce fossé indécelable jusqu'au dernier moment. Le saut de loup est donc un large " fossé sec aux pieds ", infranchissable par les animaux sauvages ou domestiques, permettant de faire une séparation invisible entre le parc privé et le domaine.
C'est en plein cœur de cette époque victorienne que des hommes comme William Robinson décident de revenir aux voix de la nature.
Il veut introduire un élément de vie dans ces jardins qui s'étaient un peu transformés en délires historicistes ou en réserves botaniques impersonnelles et sans vie.
Il porte alors à leur extrême les fondements des jardins paysagers et pittoresques. Les plantes bien que choisies par le jardinier, évoluent librement, sans contraintes et dégagent ainsi toute leur émotion. C'est le " jardin sauvage " qui laisse faire la nature.
On revient à un idéal très simple : " imiter les beautés négligentes de la nature rurale " (Pline) en utilisant les plantes des champs et des bosquets.
Ce courant va se développer au 20ème siècle avec Gertrude Jekyll (1843-1932). Ces deux paysagistes sont à l'origine des célèbres " mixed borders ". En totale opposition avec les massifs victoriens géométriques, les " mixed borders " sont des parterres de plantes vivaces, évoluant librement et plantées " apparemment " sans ordre.
Ces jardins intimes, pleins de charmes et semblant si naturels étaient en fait
l'aboutissement d'une grande science horticole ; mais contrairement aux jardins fleuris,
celle-ci était ici au service du bon goût et du raffinement.

Les jardins chinois
Les jardins chinois
" Etre en harmonie avec et non se rebeller contre les lois fondamentales de l'univers. " A une époque où en occident, sous l'influence française et italienne, les jardins sont dominés par 3 grands principes : géométrie, rectitude, et expression de la toute puissance de l'homme et surtout des souverains, en chine les principes sont fondamentalement opposés.
L'influence des jardins chinois atteint cependant l'Europe dès l'époque du règne de Louis XIV puis surtout avec les anglais et le terme de " Sharawadgi " , 50 ans plus tard. Cette influence chinoise sera uniquement de façade, les grands principes philosophiques chinois étant laissés de coté.
Le yin et le yang sont les 2 forces cosmiques essentielles à la base de toute création, les 2 principes d'équilibre parfait, principes qui se complètent sans s'opposer.
Le jardin doit donc exprimer la dualité du yin et du yang, leur harmonisation parfaite grâce à la coexistence du volume, de la rondeur d'un arbre et de la flexibilité d'une fleur ; de la pureté de l'eau et de la rugosité du rocher....
Le taoïsme : Religion populaire de la chine, mélange du culte des esprits de la nature et des ancêtres, des doctrines de Laozi (ou Lao Tseu : Philosophe chinois du 6ème-5ème siècle av JC contemporain de Confucius), et de croyances diverses.
Les chinois ne croient pas en un créateur divin distant d'une création qu'il domine. Divinité et nature ne font qu'un. Dans la pensée chinoise, le Toa ou Dao est le principe suprême et impersonnel d'ordre et d'unité du cosmos. Le DAO est " l'ensemble de toutes choses ".
Jardins, Philosophie et Religion
Tout comme la plupart des activités journalières des chinois, les jardins chinois tirent leur inspiration des oeuvres du Tao ou Dao, base de la religion appelée Taoïsme.
A cette religion s'ajoute la philosophie de Confucius qui défend une organisation rigoureuse de la société chinoise et la recherche commune d'un parfait équilibre social dans le respect des traditions.
Enfin, le Bouddhisme venu de l'Inde au IIème siècle av JC apporte de nouvelles exigences telles que le respect de la nature dans sa plus petite parcelle (les plus petites fleurs, la mousse...).
Autre principe important dans la philosophie Taoiste, le YIN et le YANG.
Les jardins chinois
Dans ce cadre spécifique que représente le jardin, l'homme, ne faisant qu'un avec la nature, peut alors développer une réflexion, une philosophie introspective, inspirée par la nature.
Mais attention, bien qu'étant un instrument poétique et philosophique lieu de calme spirituel indispensable à toute introspection, le jardin n'en est pas moins le travail d'une imagination créatrice, c'est à dire une œuvre d'art. L'esthétique est indissociable de l'éthique.
Le jardin chinois est source d'émotion, de réflexion et d'élévation de l'âme ainsi que de ravissement des sens, en un mot : le bonheur parfait !
Le jardinier chinois : Un philosophe
Si les jardiniers français étaient architectes, dessinateurs, sculpteurs, les anglais poètes peintres ou décorateurs, les jardiniers chinois sont des moines poètes ou calligraphes.
Créer ces jardins empreints d'une telle spiritualité demande en effet plus que des compétences horticoles et jardinières.
L'aspect religieux et philosophique de ces jardins impose au jardinier de connaître le " fengshui " c'est-à-dire l'art de déceler les puissants courants qui affectent un site ( comme le " génie du lieu " anglais), pour respecter l'équilibre naturel, base du jardin.
Le jardinier travaille donc en accord avec ses qualités intuitives, le fengshui et les grandes règles du Taoïsme et Confucianisme.
Les éléments et le symbolisme des jardins chinois
Derrière une apparente simplicité et un aspect très naturel, le jardin chinois est très organisé. La liberté de la végétation est calculée : c'est le principe même du jardin, autrement c'est un paysage naturel !
Chaque élément possède une place et une symbolique spécifique.
Les pierres : Elles représentent les " montagnes magiques ", habitat enchanté des demi dieux et donc symbole d'immortalité. On recréé donc des montagnes miniatures en pierres naturelles. La forme des pierres a aussi une grande importance : Les rochers à formes étranges sont sensés détenir des forces irrationnelles de la nature, des pouvoirs particuliers et donc les placer dans les jardins est la preuve que le jardinier contrôlent les pouvoirs chaotiques de la nature.
L'eau : Sous forme de cours d'eau, elle exprime la notion de vie et représente les artères vitales de la terre, qui avec la montagne qui représente le squelette humain, symbolisent un organisme vivant. Les chinois utilisaient l'eau sous forme de cours d'eau, de cascades, de lacs... et si il n'y avait pas d'eau sur le site, on la remplaçait par des pierres disposées d'une certaine façon ; l'imagination faisait le reste ! Cette technique favorisant l'idée plus que la représentation a complètement déboussolé les occidentaux !
Les plantes :Les chinois n'utilisent qu'un tout petit nombre de plantes mais les connaissent et les chargent de symboles. Le Pin par exemple symbolise la vigueur et la force de caractère.
Le Lotus : fleur sacrée du bouddhisme donc révérée par les chinois, fleur du paradis, siège de Bouddha, symbole de l'effort noble et de la pureté spirituelle.
Pour les chinois, les jardins et les plantes symbolisent tous les aspects de la vie, de la naissance à la mort. Les chinois s'intéressent donc aux fleurs depuis leur floraison jusqu'au moment où elles fanent plutôt que de focaliser leur intérêt, comme les occidentaux, sur le moment de la floraison.. Les chinois aiment la nature à tous les stades jusque dans ses moindres imperfections.
Les ponts: Ils ne sont jamais droits mais toujours brisés, semi-circulaires ou en zigzag pour freiner la progression des mauvais esprits ! De même, les jardins se déroulent le long de chemins sinueux, symboles de la progression philosophique et spirituelle du promeneur.
L'immobilité est primordiale dans le jardin car c'est un lieu de méditation expiatoire, de conversations privées, de lectures poétiques...Le caractère introspectif du Daoïsme est exprimé sous forme d'un pavillon solitaire ou d'une hutte au milieu des arbres.
Alliance architecture-nature : L'architecture se fractionne et s'intègre au jardin pour établir une relation entre la nature et l'homme.De même, les "vues empruntées", trouées sur la nature sauvage laissent passer le souffle cosmique, l'esprit vital de la nature. Les chinois n'ont jamais eu peur de la nature comme les occidentaux, ils croient en la vertu thérapeutique du contact avec la nature.
Cette recherche d'harmonie, d'équilibre et de perfection spirituelle qui guide chaque acte de la journée va donc logiquement se retrouver dans la création de jardins.
Basés sur le rythme de la nature, les ondes qui la parcourent et en accord avec le " génie du lieu ", les jardins servent à mettre l'homme en contact avec la nature et les forces créatrices de l'univers qu'il doit assimiler et appliquer dans la vie.

Les jardins japonais
Les jardins japonais
Instruments de méditation et de contemplation
Contrairement au jardin français qui illustre le triomphe de l'ambition humaine sur une nature soumise, le jardin japonais exprime la réconciliation avec la nature. Constitué d'éléments très simples comme les cailloux, l'eau, la mousse...il possède un côté austère en lien avec une recherche spirituelle.
Le jardin japonais repose sur une influence de la Chine exercée à partir du VIIème siècle, sur sa religion appelée Shintoïsme ainsi que sur la géographie du pays (dont la petite taille ne permet pas la réalisation de parc immenses). Les japonais vont ritualiser encore plus la base chinoise en définissant très précisément les moindres détails des jardins.
Shintoïsme : Religion propre au Japon, antérieur au bouddhisme, qui honore des divinités, personnifications des forces de la nature, les ancêtres et l'empereur.
Dans cette croyance animistes, la nature et tous ses éléments donnent asile aux " Kamis ", les esprits bienfaisants des ancêtres et peuvent donc être vénérés. L'homme n'est qu'une manifestation mineure de la nature et doit donc avoir une attitude de respect et de profonde communion avec la nature. le jardin va permettre cette communion entre l'homme, le cosmos et la nature. On est loin de la crainte des occidentaux exorcisée par la soumission de la nature.
La conception japonaise des jardins est totalement différente de la conception européenne et plus spécialement française que se soit au niveau symbolique ou esthétique :
- compréhension et respect du paysage naturel.
- tabous, règles strictes qui transgressées, entraîneraient la punition des Dieux.
- L'imperfection est source de beauté. On ne craint pas la temporalité des choses : on accepte les conséquences des saisons, on laisse les fleurs faner ( alors qu'à Versailles on les remplaçait au moindre signe de fatigue pour éliminer toutes traces du temps).
Perpétuellement changeant, le jardin exprime la perfection de l'instant qui passe. Pour les occidentaux au contraire la perfection ne peut être que dans l'éternité.
- la perception de l'âme, l'empirisme remplacent la rationnalité. Le jardin doit être autant ressenti que vu. C'est un univers de sensations que l'œil et l'âme doivent appréhender.
- le jardin est le lieu de la contemplation, de l'immobilisme et du silence.
- La simplicité est essentielle car elle permet au regard et à l'esprit d'errer librement.
Raffinement minimaliste, irrégularité, inachèvement et simplicité sont la base des jardins japonais.
Les jardins ont suivi une évolution permanente au fil des siècles :
- tantôt lieu de méditation, d'un total dépouillement tels que les " niwa " primitifs, ou plus tard les jardins zen
- tantôt d'une richesse inouïe, lieu propice aux jeux de l'aristocratie à la période Heian.
Au Xème siècle, le jardin se complexifie, on ajoute des zones humides qui associées aux cailloux symbolisent le yin et le yang. On nomme ces jardins " sansui " c'est-à-dire montagne et eau. Ce nom représente bien la base même des jardins japonais : la montagne, symbole masculin, le yang, et l'eau symbole féminin, le yin. D'après le Taoïsme, harmonie et équilibre naissent de ces deux éléments complémentaires bien qu' en apparence radicalement différents.
Période Heian VIIIème-XIIème siècle : période la plus fastueuse de l'histoire du japon avec des jardins somptueux, élégants et raffinés ( mais qui n'ont jamais dépassé 1 ha), qui sous l'influence de la Chine évoquent le " pays de la terre pure " (le paradis) et la perfection de Bouddha. C'est l'époque du style " shindenzukmi " caractérisé par des pavillons et des vérandas somptueux intégrés à la végétation.
Au XIème siècle, un moine lettré chinois nommé Yoshitsune Gokyohoko, écrit le " Sakutei-Ki ", " Le livre secret des jardins ". L'auteur explique le choix des emplacements, les conditions de construction, la disposition des rochers, le sens de l'écoulement de l'eau... Orientation, plantation, floraison, ombre et lumière, TOUT obéit à des règles très strictes pour ne pas perturber l'ordre de la nature.
Inspirés de ce texte, les jardins japonais vont devenir plus sobres. C'est d'ailleurs la fin de la période Heian et le début des difficultés politiques, économiques et sociales.
Les grands principes de cet ouvrage sont :
La nature ne doit pas être brutalisée, par exemple les pierres devront reprendre obligatoirement l'implantation qu'elles avaient dans la nature là où elles ont été prélevées. De même, on doit respecter le caractère topographique du site choisi. Tout doit être harmonieux et naturellement vraisemblable en accord avec le " tayori " : le génie du lieu.
- Il faut exprimer le " fuzei " : l'âme, le souffle profond du jardin inspiré par un récit, un paysage ou une illumination poétique . L'architecte paysagiste n'est que le révélateur des forces secrètes de la nature , et le jardin est l'expression parfaite, achevée et visible de la nature.
-L'eau et les pierres représentent en miniature, l'océan primordial d'où sont sorties les îles des Immortels, demis dieux orientaux. Dans la même optique, les îles artificielles des étangs sont associés aux tortues géantes qui ont portées les immortels jusqu'à leurs îles. Les montagnes sont vénérées car elles représentent le squelette de la terre et de fait, sont symbole de la permanence de la présence divine.
On respecte aussi des interdits magiques :
- jamais de compositions rectilignes, les droites sont toujours brisées pour freiner les puissances maléfiques.
- L'eau doit toujours couler d'est en ouest pour emporter les forces négatives.
- il est dangereux de placer certaines pierres à côté de la maison " Si vous violez cet interdit, les malheurs ne s'interromperont pas et détruiront votre famille. "
- Les ponts ne forment jamais une liaison directe et parfaite entre 2 rives, ils sont brisés ou en arc de cercle pour freiner les puissances maléfiques et les allées sont raccordées aux bâtiments par des segments angulaires pour briser les influences négatives.
Au delà de la perception de la scène réellement représentée, il faut voir les allusions, les symboles, les références à une culture originale.
Les jardins de la période shogunale
Après la fastueuse période Heian puis le retour à des jardins plus simples sous l'influence du " Sakutei-ki ", en 1185 commence ce qu'on appelle la période shogunale. La prise du pouvoir par les samouraï, hommes à l'éthique militaire et spirituelle rigoureuse, et le développement, sous leur influence, du bouddhisme zen vont profondément transformer l'aspect des jardins. La rigueur de l'esprit samouraï va
s'appliquer aux jardins.
On assiste au développement des jardins secs appelés " Karesansui ", nés des exigences spirituelles, éthiques et sociologiques des samouraï. Les jardins vont s'épurer.
On laisse de côté les effets séducteurs et faciles, la beauté formelle et intelligible que les samouraï trouvent vulgaire. On s'éloigne de l'influence des paradis chinois et de l'époque Heian. On élimine tout ce qui distrait et fixe le regard. On doit être absorbé par la méditation " jusqu'à voir les pierres pousser ". Les dessins tracés sur le sol avec les graviers doivent favoriser la méditation. On cherche l'errance permanente de l'œil grâce à des sillons qui s'enchaînent et se répètent à l'infini et qui donc n'arrêtent pas le regard.
Le jardin doit être cohérent, parfait, équilibré, reflet de la parfaite ordonnance du monde.
Pendant 2 siècles, les grands ensembles à étangs et végétation luxuriante céderont la place aux petits enclos des temples, refermés sur eux même, secrets et protégés. On ne recherche pas la ressemblance des choses mais en offrir une traduction sublimée.
Les " Niwa " :Terrains purifiés, situés autour de temples, où l'on peut vénérer les divinités et les ancêtres. Ils sont composés d'une enceinte austère, une cour de gravier bien ratissée avec un mémorial sacré dédié au " génie du lieu ". Ce sont des oratoires shinto très minimalistes.
spirituelles dans le pavillon du thé.
C'est un jardin d'une grande pureté et simplicité qui sert de passage, et qui doit être très discret car il a un rôle psychologique : il conditionne les esprits et les émotions des visiteurs de façon à ce qu'ils se trouvent dans un état d'esprit approprié au moment de pénétrer dans le pavillon du thé.
On y trouve que des éléments très simples tels que de la mousse, des dalles...mais surtout pas de fleurs ou d'autres éléments qui pourraient détourner l'attention.
La cérémonie du thé est donc une cérémonie religieuse qui vise à faire la coupure avec le monde quotidien et ses médiocres soucis pour que l'esprit se consacre aux activités les plus nobles telles que la méditation ou la contemplation de la beauté sous sa forme la plus simple comme dans la nature par exemple. Les pavillons du thé sont donc souvent isolés des autres bâtiments, dans un environnement plus pur séparé par une légère clôture de bambou, frontière symbolique.
Les "roji" : A la fin 15ème siècle, le développement de la cérémonie du thé va donner naissance à de nouveaux jardins appelés " les jardins de thé ". Les pavillons de thé sont associés à des jardins minuscules, appelés " roji " qui signifie en japonais " chemin couvert de rosée " (car on s'y rafraîchit spirituellement, on y trouve la fraîcheur d'âme.)
Quels sont les éléments de ce jardin :
- Un long processus d'arrivée au pavillon du thé
- Un chemin aux dalles irrégulières symbole de l'effort à déployer pour atteindre la pureté de l'esprit et du cœur conduit au pavillon.
- Une lanterne symbolise la lumière qui nous guide.
- Une auge en pierre remplie d'eau est placée à l'entrée du jardin pour se débarrasser de ses impuretés physiques avant de se débarrasser des impuretés décimètres carrés) qui seront toujours, malgré leur petite taille des parfaits microcosmes habités par les forces de la nature.
Bien qu'étant à l'origine une chose religieuse et sacrée, à partir du 17ème siècle, on revient à des jardins plus riches créés par les empereurs privés de tout pouvoir. C'est une grande période de paix qu'on appelle la période d'EDO. On créé des jardins libérés de rituels et de l'étiquette contraignante. Ce sont des jardins de promenade où l'on suit un chemin le long duquel des vues se succèdent. La nature est à peine retouchée, on trouve de nombreuses ouvertures sur la nature appelés " paysages empruntés " et l'art pépiniéristes s'exerce pour créer des bonsaï géants.
Bouddhisme zen : forme épurée de la tradition bouddhique chinoise. C'est la voie vers la parfaite illumination. Le bouddhisme zen oblige à la méditation pour obtenir une des 6 vertus essentielles, indispensables pour approcher l'état de bouddha, source de perfection et de totale liberté spirituelle. En art, le zen favorise la simplicité, l'asymétrie, le silence, le charme subtil, essence de toute chose au mépris des richesses et jouissances d'ici-bas.
Les jardins japonais sont des jardins d'illusion, d'allusions, mais aussi des îles de silence, d'immobilité dynamique.
Les jardins japonais exercent un réel pouvoir de fascination sur les hommes et en particulier sur les occidentaux. Tout y paraît naturel alors que tout est artificiel.
Les jardins représentent des paradis pour les japonais non pas parce qu'ils sont lieux de délices mais parce qu'ils sont lieux d'évidences et de perfection.
Les japonais transféreront toute cette symbolique dans des jardins miniatures (